Satan hérétique : Histoire de la démonologie (1280-1330)
118 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Satan hérétique : Histoire de la démonologie (1280-1330) , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
118 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Les démons de l’art roman demeuraient aux portes de l’enfer et attendaient, goguenards, la mort des pécheurs. Soudain, entre 1260 et 1350, ils firent irruption, plus redoutables, dans les sociétés humaines. Pour initier les humains à une magie sinistre. Pour donner puissance au crime. Pourchassés comme hérétiques, leurs adorateurs et clients firent l’objet d’enquêtes minutieuses et de châtiments exemplaires. Ainsi commença la chasse aux sorciers qui marqua trois siècles d’histoire européenne. Le livre d’Alain Boureau dépeint la constitution de cette démonologie inédite. Comment le pacte avec le diable annulait celui avec Dieu, ciment des communautés humaines. Comment la possession témoignait d’une fragilité de la personnalité humaine, perméable aux influences surnaturelles. Au croisement de l’essor des souverainetés et des individus, l’histoire de Satan l’hérétique manifeste la modernité de l’Occident médiéval. Alain Boureau est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 mai 2004
Nombre de lectures 7
EAN13 9782738186331
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Alain Boureau
SATAN HÉRÉTIQUE
Naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval (1280-1330)
 
© Odile Jacob, mai 2004 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-8633-1
www.odilejacob.fr
Table

Introduction
1. Satan hérétique. L’institution judiciaire de la démonologie sous Jean XXII
L’arbre des historiens et la forêt des documents
Un effort continu
Un mal ordinaire ?
Les convictions démonologiques de Jean XXII
Portrait de Jean XXII en suppôt du démon
L’émergence du fait
L’enquête et le fait
Questions de procédure
Procès et majesté
Méfiance de l’inquisition
2. Des sacrements sataniques ? La découverte d’Enrico del Carretto
La consultation de 1320
Les dix experts
Résultats de la consultation
En quête de la causalité du maléfice : Dieu, l’image ou le rite ?
Les images parlantes
Le sacrement satanique
Théologie du pacte
Pacte et convention
3. Le pacte généralisé
Banalité du pacte ? L’histoire de Théophile
Des pouvoirs conditionnels
Le pacte comme forme de l’action collective
Pratique du pacte : le syndicat d’Albi
Le complot, un mauvais pacte
Le pacte fort d’Olivi : les fondements contractuels de la royauté et de la propriété
Le pacte fort et l’absolutisme divin
La dette universelle
Pacte et volonté
4. Libération des démons. Les débuts d’une démonologie scolastique
Nouvelles interrogations sur les démons
La nature des démons
Le moment de la chute
Capacités des démons
Jean Quidort ou le thomisme illustré
Les démons et l’eschatologie franciscaine
5. Les nouveaux possédés. Saints et démons dans les procès de canonisation du début du XIVe siècle
Folie et possession
Prudence de la Curie
Des démons ordinaires
Des revenants
Nicolas de Tolentino face à Bélial
Les possédées de Santa Lucia
6. La béance du sujet. Anthropologie scolastique de la possession
Le somnambule et le possédé
Une psychologie chrétienne de la plénitude
La nouvelle psychologie aristotélicienne
Le retour des somnambules
Gervais de Tilbury et la diabolisation du somnambule
Le character comme agrafe de la personnalité humaine
Pluralité de la personne
L’homme et son double
De la possession démoniaque à la possession divine
Fragilité du character
7. Les invasions surnaturelles. Modèles mystiques de la possession
De l’ambivalence au soupçon
Chiara de Montefalco et l’incorporation du divin
Les stigmates et l’imagination de saint François
Imagination et amour
Angèle de Foligno : les paradoxes d’une autobiographie spirituelle
Deux types de subjectivité
Un récit sacramentel
Les incertitudes du scribe franciscain
Inhabitation et scandale
La subjectivité de Pandore
Épilogue
Notes
Bibliographie sélective
I. SOURCES
II. TRAVAUX
Index
DU MÊME AUTEUR
Annexe
Introduction
 
L’enquête locale ( in partibus ) sur la sainteté de Thomas d’Aquin, qui se déroula à Naples du 21 juillet au 18 septembre 1319 1 sous la direction énergique de Guillaume de Tocco, promoteur et témoin de la cause, inclut un témoignage fort curieux. Jean Blasio, juge à Naples, et, selon ses propres dires, familier de la reine Marie de Naples, rapporta ses fort anciens souvenirs de rencontre personnelle avec Thomas (mort en 1274, soit quarante-cinq ans avant l’enquête). Son témoignage a été considéré avec scepticisme par les spécialistes de Thomas, surtout parce qu’il prétendait l’avoir entendu prêcher pendant dix ans et notamment tout un carême sur l’ Ave Maria , ce qui correspond mal aux données biographiques connues. Mais on a jusqu’ici négligé un autre aspect de son témoignage : Jean Blasio relatait qu’un jour qu’il était avec Thomas dans sa cellule du couvent dominicain de Naples, il sortit avec lui sur la terrasse, où apparut un démon sous la forme d’un homme noir, vêtu de noir. Dès qu’il l’aperçut, Thomas se précipita vers lui, le poing levé et entreprit de lui décocher un coup de poing en l’apostrophant : « Pourquoi es-tu venu ici pour me tenter ? » Mais avant que le poing n’ait atteint sa cible, le démon disparut sans jamais réapparaître. En soi, l’épisode n’a rien de surprenant : depuis le Christ au désert et saint Antoine, on sait que le combat avec le diable fait partie des attributs de la sainteté. L’insistance sur l’agilité de Thomas et sur l’énergie de son poing ( pugnus ), en dépit de sa forte corpulence attestée par de nombreuses sources, rattachait le saint, de façon étymologique et typologique, à la cohorte des athlètes et lutteurs ( pugiles ) de Dieu.
En revanche, les historiens ne se sont guère intéressés à la réponse stupéfiante que donna Jean aux enquêteurs qui lui demandaient comment il avait pu reconnaître que cette figure noire sur la terrasse de Naples était bien un démon. « Il dit qu’en d’autres circonstances il avait vu le démon lui-même dans un cristal, pendant que se déroulait une conjuration des démons en vue de trouver un livre qui avait été dérobé à un universitaire ; c’est ce démon qu’il avait alors reconnu dans cette apparition audit frère Thomas 2 . » Certes, la pratique de la conjuration des esprits à l’aide d’un cristal, d’un ongle poli ou d’une épée, en vue de la découverte d’un trésor ou de la récupération d’un objet volé est bien attestée à la fin du Moyen Âge 3 . Certes, le début du XIV e  siècle constitue une période particulièrement active de « nécromancie » (ainsi désignait-on la consultation des démons), illustrée par une série d’affaires célèbres et par les tentatives du pape Jean XXII pour endiguer ce flot. Néanmoins, cet épisode est remarquable quant à sa précocité (si, du moins, l’on peut se fier à la mémoire du vénérable Jean Blasio) et surtout quant à l’ingénuité avec laquelle le témoin donne sa preuve, sans aucune obligation. L’enquête de canonisation n’était pas inquisitoriale au sens étroit du terme, le témoin aurait fort bien pu justifier son identification en se référant à la conviction de Thomas d’Aquin ou à l’aspect fort classique de cette figure noire et évanescente. Rien n’obligeait non plus les juges à retenir et enregistrer ce témoignage : quand on dispose des listes complètes de témoignages aux procès de canonisation, on relève l’élision de certaines dépositions 4 . Guillaume de Tocco savait bien qu’il devait transmettre les actes de l’enquête à Jean XXII dans les mois suivants. Or le pape, quelques années plus tard (en 1326 ou 1327), dans sa bulle Super illius specula , menaçait d’excommunication immédiate tous ceux qui « fabriquent et font fabriquer de façon magique des images, un anneau, un miroir, un vase ou tout autre chose pour contraindre les démons, [tous ceux qui] leur font des demandes et en obtiennent des réponses ». Jean XXII, dès le début de son pontificat, s’était inquiété des invocateurs du démon. Enfin, il faut relever que Jean Blasio, en identifiant le démon classique qui agressait Thomas d’Aquin au démon auxiliaire convoqué dans le cristal pour réparer un tort et un dommage humains, neutralisait l’opposition longtemps maintenue entre magie blanche (bénéfique) et magie noire (maléfique), ou selon les termes de Richard Kieckhefer, entre « démonologie » et « daimonologie ». Pour les nécromanciens, les «  daimones  », anges déchus ou neutres, n’avaient pas forcément partie liée avec le diable. C’est précisément au même moment que le moine cistercien Jean de Morigny se livrait à l’ ars notoria , à la conjuration formulaire, pour faire advenir des apparitions de la Vierge Marie.
 
La tranquillité de Jean Blasio et des enquêteurs montre que ce début du XIV e  siècle constitua bien un tournant dans la perception des démons. L’épisode de Naples peut être perçu comme un signe de la fin d’un monde, celui de la coexistence tendue, mais maîtrisée, avec les forces du Mal. Quelques mois plus tard, un autre épisode, en Avignon, se présente en indice de l’émergence d’un autre univers, gouverné par l’effroi devant la puissance de Satan et de ses démons. En effet, une consultation fut lancée par le pape Jean XXII en 1320 : il cherchait à obtenir de dix théologiens et canonistes les arguments qui auraient permis de qualifier l’invocation des démons et la magie comme hérésie. Le saut était grand, puisque treize siècles de christianisme avaient établi que l’hérésie ne pouvait résider que dans la pensée et la parole, non dans les actes. Cette qualification ouvrait la voie aux procédures exceptionnelles d’enquête et de répression des tribunaux inquisitoriaux, attachés exclusivement à la poursuite de l’hérésie. De fait, la chasse aux sorciers fut en partie menée par des inquisiteurs.
Ce livre entend montrer, contre les idées reçues, que la hantise du diable ne constitue pas un aspect essentiel du christianisme médiéval, mais qu’elle a émergé assez soudainement entre 1280 et 1330. Le contenu thématique et mythologique du sabbat serait adventice et secondaire. Ce tournant fut décisif : trois siècles d’obsession démoniaque pesèrent lourdement sur l’évolution de l’Europe. Il conduisit notamment à la folie persécutrice des sorciers ( witchcraze ), de la fin du XV e  siècle au milieu du XVII e  siècle, qui a mis aux prises, d’une part, des juges et inquisiteurs persuadés de la réalité des enchantements et des engagements sataniques et, d’autre part, des populations où les croyances en la réalité des maléfices et en l’existence efficace du sabbat – cette réunion occulte des sorciers et des démons – semblaient partagées. La doctrine était nouvelle : l’Église médiévale, dans son action législative et pastorale, avait constamment condamné ou écarté les pratiques magiques, mais en les traitant par le mépris, comme vaines superstitions. Le diable faisait croire à son efficacité par des illusions qui affectaient les esprits faibles. La réalité de son pouvoir demeurait limitée et naturelle (au sens scolastique, la nature englobe l’ensemble des effets créés par Dieu).
 
Des dizaines de livres ont été écrits sur les causes de la chasse aux sorciers, ce phénomène étrange qui orienta le rati

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents