Une longue vie , livre ebook

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1ère partie : de 1940 à 1945, le périple d’un jeune homme juif de Bruxelles à Marseille, de Marseille au Maroc, du Maroc au Brésil, du Brésil en Angleterre, puis de l’Angleterre à l’Allemagne; l'évolution de son rapport à la judéité, qu'il appelle sa "part juive". 2ème partie : les dilemmes de l’artiste : continuer ou renoncer ? Interpréter les embûches et les insuccès comme le prix à payer pour l’épanouissement futur, ou comme des signes d’incitation à l’abandon ? Poursuivre sur sa lancée, affronter des vents hostiles : marque de courage... ou d’irréalisme ? A l’inverse, se décourager, abandonner ses efforts : marque de sagesse... ou de trahison à soi-même ? 3ème partie : arrivé à la fin de sa vie, un vieil homme cherche à se figurer qui étaient ses ancêtres. A force de concentration, il parvient à les observer dans des moments clés de leur vie quotidienne et, par là, à comprendre l'homme qu'il fut. De l'exil d'un premier arrière-grand-père forcé à quitter la Russie en 1917 à la ruine d'un deuxième dont la librairie fit faillite, de la disgrâce royale d'un troisième arrière-grand-père qui fut chef de cabinet du roi au moment de la guerre à l'exil d'un quatrième en 1940, le vieil homme réalise que tous ses arrière-grands-pères furent, à des moments donnés de leur existence, ruinés. Il comprend alors les motivations inconscientes qui ont guidé ses choix de vie. Ces trois thèmes sont envisagés dans des histoires spécifiques, toutes centrées autour d’un seul et même personnage, que l’on retrouve au travers des époques « larges » de son existence, du passé d’une partie de sa famille (1ère partie) à sa propre vieillesse (3ème partie), en passant par une époque clé de sa vie (2ème partie). Trilogie à clés sur le thème de l'identité, envisagée sous trois angles principaux : la psycho-généalogie (dans quelle mesure les expériences de nos ancêtres influent-elles sur nos modes de vie et de pensée?), le nombrilisme (quelle vie mène un homme qui décide de ne faire que ce ses envies lui dictent? Va-t-il dans le mur, ou s'épanouit-il pleinement? Vit-il d'illusions, ou est-il « totalement homme »?) et la judéité (existe-t-il un « esprit juif » spécifique?) Les destins étrangement similaires d’ancêtres communs ont-ils un sens? Les souffrances d’une petite partie de sa famille déteignent-elles sur un homme? Une exploration de ce qu’est un individu, centrée autour des “temps larges” de l’Histoire (du passé familial à l’agonie du héros).

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Date de parution

03 décembre 2004

Nombre de lectures

2

EAN13

9782748382242

Langue

Français

Une longue vie
Gilles Dal
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Une longue vie
 
 
 
 
Éditions Publibook,
14, rue des Volontaires
75015 Paris – France
Tél : 33 (0)1 53 69 65 55
 
 
 
 
 
IDDN.FR.010.0103439.000.R.P.2004.035.40000
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
“A Raphaël,
chaînon de l’Histoire.”
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1940
 
 
 
I
 
 
 
Etienne portait un nom juif, ses quatre grands-parents étaient juifs, mais lui ne se sentait pas juif. L’apostrophe « vous, les juifs » ne l’avait jamais concerné : « je ne suis pas juif », se plaisait-il à répéter.
 
Chaque matin, Etienne se regardait dans le miroir et, mimant d’ajuster sa cravate ou de se repeigner, s’observait :
— Voit-on que je suis juif ? Comment est mon nez ? Comment sont mes oreilles ?
Ses parents avaient beau lui répéter que les juifs n’avaient pas de nez et d’oreilles caractéristiques, que seuls les antisémites prétendaient des choses pareilles, rien n’y faisait : il trouvait son nez trop long et ses oreilles trop grandes. Des traits plus fins, des cheveux plus souples et un teint plus pâle : telles étaient, pensait-il, les clés de son bonheur.
 
Etienne n’aimait pas ce qu’il appelait sa « part juive » : une façon de penser tortueuse, complexe, paradoxale, qui ne le rendait pas heureux ; il enviait les esprits structurés et cohérents, qui résolvaient les problèmes à la place de les créer.
Le jour où il fit part de ce souci à son père, celui-ci explosa :
— Qu’est-ce que tu racontes ? Une part juive ? Mais ça n’existe pas ! Quelle expression atroce !
Peu convaincu par son père, persuadé au contraire que sa part juive lui portait préjudice, Etienne était bien décidé à la combattre.
 
Pour ce faire, il décida dans un premier temps de ne plus adresser la parole aux juifs, espérant de cette manière s’extraire d’une pesante source de tourments. Quelques semaines plus tard, constatant l’échec de la manoeuvre (sa part juive était toujours là et il continuait à ne pas s’aimer), il passa du rejet à la haine, et ses regards méprisants se transformèrent en bousculades, les bousculades en propos désobligeants, les propos désobligeants en insultes, et les insultes en passages à tabac. Une terrible surenchère, qui aboutit à ce constat effroyable : à l’âge de dix-sept ans, Etienne était antisémite. « Sale juif » faisait partie de son vocabulaire courant ; l’usage de la violence en était un corollaire habituel.
 
Un jour qu’il s’était particulièrement acharné contre un camarade de classe, il se vit convoquer chez le préfet des études :
— Votre conduite est inqualifiable, Feld. Je la comprends d’autant moins que vous êtes juif.
— Vous faites erreur, répondit-il : je ne suis pas juif.
— Comment, vous n’êtes pas juif ? J’ai sous les yeux votre fiche d’inscription : votre père s’appelle Feld, votre mère Lévy, et vous n’êtes pas juif ?
— Je concède que mes parents portent des noms à consonance juive, mais je ne suis pas juif.
— Votre conduite n’en demeure pas moins inqualifiable !
— C’est votre avis. Permettez-moi cependant une question : auriez-vous jugé ma conduite de la même manière si je n’avais pas porté un nom juif ?
— Que voulez-vous dire ?
— Un juif qui insulte un autre juif, ça vous subjugue, mais si je m’étais appelé Dupont, auriez-vous réagi de la même manière ?
— Bien entendu ! Je n’ai rien contre les juifs en général, ni contre vous en particulier.
— Je vous répète que je ne suis pas juif.
Etienne retournait chacun des arguments du préfet avec une telle aisance qu’après une demi-heure, celui-ci dut battre en retraite, et le laisser partir sans être parvenu à le convaincre.
 
En rentrant de l’école ce soir-là, Etienne insulta dans le tram un autre élève juif, qui se trouvait cette fois être son cousin. Celui-ci, bien que relativement coutumier de ces provocations, lui demanda comme chaque fois que la situation se présentait :
— Mais enfin, pourquoi t’en prends-tu toujours à moi ? Je ne t’ai rien fait !
— Ta gueule, répondit comme toujours Etienne. J’aurai ta peau.
— Explique-moi au moins pourquoi tu m’en veux !
— C’est inutile. Si je t’expliquais, tu détruirais mes arguments un à un, et tu me retournerais comme une crêpe. Vous êtes tellement cérébraux, tellement manipulateurs, vous les juifs…
— Etienne, bon sang, je ne suis pas plus juif que toi ! le coupa son cousin, qui connaissait par coeur sa logorrhée antisémite. Explique-moi en quoi…
— Ne m’embarque pas dans tes raisonnements tordus ! le coupa Etienne. Je la connais, ta fausse logique. Dans deux minutes tu vas m’expliquer que je refuse l’évidence, qu’être juif n’est pas une tare, que je fais souffrir mes parents… Tout ça pour me culpabiliser, me mettre mal à l’aise, et me faire douter de moi !
Etienne s’énervait tellement que son cousin renonça à la discussion et s’en alla.
— C’est ça, hurla Etienne, casse-toi ! Quand on ne sait plus quoi dire, on fuit la discussion !
 
Lorsque, plus d’une demi-heure plus tard, il fut de retour chez lui, Etienne trouva ses parents assis côte à côte sur le canapé du salon, la mine atterrée. En le voyant arriver, son père se leva, se racla la gorge et le regarda fixement :
— Etienne, ta mère et moi sommes profondément choqués par ce que nous venons d’apprendre : ta tante Johanna nous a a expliqué la façon dont tu avais traité ton cousin Nathanaël dans le tram. Sache que tu ne pouvais pas plus nous décevoir. Tu as insulté un membre de ta famille d’une façon scandaleuse, alors tu vas immédiatement appeler ses parents, et t’excuser.
— C’est exclu, répondit Etienne : ce Nathanaël est un petit con, en plus il m’a cherché.
— Peu importe, Etienne : on ne traite pas les gens de sales juifs. De toute façon, nous ne te demandons pas ton avis : tu n’as pas le choix.
— On a toujours le choix ! Et je maintiens ce que j’ai dit.
 
Les parents d’Etienne étaient atterrés. Comment leur fils pouvait-il traiter ainsi sa propre famille ? Paul Feld, le père, n’était pas particulièrement fier de ses origines juives, il avait même plutôt tendance à les dissimuler, mais le comportement d’Etienne le bouleversait ; il le considérait comme une insulte à la mémoire de ses ancêtres, à Israël Feld, son arrière-grand-père, tripier en Westphalie, à Léo Feld, son grand-père, le premier de la famille à s’être installé en Belgique à la fin des années 1860, à Arthur Feld, son père, qui avait pourtant renié ses origines juives en refusant de siéger au Consistoire israélite.
 
Etienne, de son côté, souffrait de voir ses parents déboussolés, mais il estimait ne pas avoir le choix : il leur fallait admettre qu’il n’était pas juif, fût-ce au prix de quelques actions d’éclat.
 
— Réalises-tu la portée de ton propos ? insista Paul. Sais-tu ce qu’il représente, d’intolérance, de rejet de l’autre ?
— Rejet de l’autre ? Quand je rejette un juif, je ne rejette pas l’autre, je rejette une part de moi-même, puisque j’ai des origines juives !
— Que tu aies des problèmes avec ton nom et tes origines, c’est une chose, mais est-ce une raison pour faire souffrir ton cousin ? Comment aurais-tu réagi si lui t’avait insulté comme tu l’as fait ?
— Ça ne m’aurait pas atteint, car je ne me considère pas comme juif. Je l’aurais pris comme s’il m’avait traité de sale Chinois.
— Tu te racontes des histoires, mon fils. Tu sais bien que tu es un peu juif.
— C’est inexact, papa. Je ne suis pas juif.
— Pense à tes ancêtres, pense comme ils ont souffert quand on les a traités comme tu traites aujourd’hui ton cousin.
— Précisément, je ne veux pas souffrir comme eux.
— Quel égoïsme !
— Pas du tout ; je ne fais qu’extirper à la racine une cause de souffrance.
— Mais enfin, en quoi être juif te pose-t-il un problème ? Tu n’es jamais entré dans une synagogue, tu vas à l’école laïque, tu n’as jamais lu la Torah…
— Vous ne comprenez pas, chers parents. Je ne refuse pas d’être juif, c’est beaucoup plus simple : je ne suis pas juif.
— Mais nous non plus, alors ! Puisque nous n’allons jamais à la synagogue.
— Si. Vous, vous êtes juifs, car vos amis vous considèrent comme tels.
— Etienne, voyons… on n’existe pas qu’à travers le regard des autres !
— Mes chers parents, je vous aime. Croyez-moi. Je vous aime sincèrement, de tout mon cœur. Mais mon âme est blessée, et cette blessure est due à mes origines juives.
— Qu’en sais-tu ? Peut-être que ce sont tes origines allemandes, tes origines françaises, tes origines flamandes !
— Ne vous fatiguez pas. Ce sont mes origines juives, je le sais. La fêlure que je ressens en moi est due à ma part juive.
— Etienne, bon sang, je t’ai déjà dit de ne plus employer cette expression… Et puis que veux-tu ? Changer de nom ?
— C’est inutile : je m’appelle Etienne Feld, mon père s’appelle Paul Feld, ma mère Jeanne Lévy, et c’est très bien ainsi. Changer de nom, ça serait tenter de trafiquer mon existence. Je suis moi, je porte mon nom, mais je ne suis pas juif. Voilà tout. Pas besoin de me déguiser.
 
 
 
II
 
 
 
Le 10 mai 1940, les panzers allemands envahirent le territoire belge par sa frontière Est, violant ainsi la neutralité du pays, et brisant l’équilibre des frontières institué au lendemain de la première guerre mondiale.
Etienne n’eut guère le temps de méditer sur les conséquences de cette invasion, car dès six heures du matin il fut réveillé par son père, qui lui cria :
— Les Allemands seront à Bruxelles dans quelques heures ; tu as un quart d’heure pour faire tes valises. Dépêche-toi, nous n’avons

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