À quoi rêvent les sociétés ?
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Description

Qu’est-ce qui fait changer nos sociétés ? Anne Marcovich montre que parmi les facteurs d’évolution bien identifiés — les crises économiques, les guerres internationales, les luttes politiques, les innovations techniques, les rythmes démographiques, etc. — il en est un moins bien connu, qui anime pourtant les sociétés de l’intérieur : l’image plus ou moins idéalisée qu’elles se font d’elles-mêmes et qu’elles poursuivent sans fin, comme un rêve. Rêve de peuple mythique comme les Hittites pour les Turcs ou les Mèdes pour les Kurdes. Rêve d’histoire fabuleuse comme dans les odyssées écossaises ou galloises. Rêve de héros fondateur comme le Grand Teck des Boers d’Afrique du Sud. Rêve de conquête de l’espace comme aux États-Unis. Rêve de nation comme en Inde ou en France. Rêve de pureté raciale ou religieuse, hier comme aujourd’hui, ici ou ailleurs, et qui vire toujours au cauchemar. Anne Marcovich est chercheur en sciences sociales, actuellement chargée de conférences à l’EHESS.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2001
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738165725
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ANNE MARCOVICH
À QUOI RÊVENT LES SOCIÉTÉS ?
www.centrenationaldulivre.fr
© É DITIONS O DILE J ACOB, A VRIL 2001 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
ISBN : 978-2-7381-6572-5
www.odilejacob.fr
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
à Marc Ferro
Introduction

Comment les sociétés se façonnent-elles ? Comment se structurent-elles dans le déroulement du temps ? Peut-on dire qu’il existe dans leurs modèles culturels, leurs institutions, un ensemble d’éléments qui forment leur « personnalité » propre, leur identité, leur nature ? Qu’est-ce qui se façonne et qu’est-ce qui est permanent ? Chacun s’accorde à reconnaître dans les évolutions qui bouleversent nos sociétés la fin d’un monde et les débuts balbutiants d’un autre. La sensation inquiétante et douloureuse, en même temps que fascinante, s’impose qu’on est au seuil d’une ère nouvelle dont on n’imagine encore que des bribes. Les valeurs et les repères semblent se dissoudre dans une brume où se noient les idéaux qui tenaient auparavant les sociétés en nations.
On cherche dans une sorte d’urgence à reconstituer, à préserver, à insuffler aux plus jeunes les valeurs dont on se sent les héritiers, à leur inculquer la mémoire des temps passés. Les retrouvailles dans le monde entier avec les cultures régionales, la résurrection de leurs langues, les mouvements qui en général luttent contre la mondialisation sont des signes tangibles des bouleversements que nous vivons. Par la résurgence de traditions parfois anciennes, ce qui s’exprime, c’est cette sensation que quelque chose s’achève, et finalement la question des valeurs sur lesquelles le monde en gestation se construira. Continueront-elles à organiser l’identité des sociétés, voire de la civilisation, qui sont les nôtres aujourd’hui ? Dans les processus lents de l’histoire des civilisations comme dans ceux, rapides et brutaux, des grandes crises comme les guerres et les colonisations, les éléments qui font la charpente profonde de la culture et des institutions se transforment, se renforcent ou au contraire disparaissent. Jusqu’à quel point alors, l’identité d’une société est-elle suffisamment préservée pour qu’on puisse continuer à la reconnaître comme telle, et à partir de quand cette identité se défait et oblige à voir la naissance d’autre chose ?
Dans les résistances à la colonisation, les processus d’acculturation ont pu laisser « indemnes », certains des éléments structurants de la culture et de la société agressées 1 . Se produit-il alors une reconstruction autour d’axes où persisteraient des éléments anciens de la culture d’origine et qui donneraient à ces sociétés conscience d’elles-mêmes ? Les processus d’acculturation par la colonisation ont le plus souvent été brutaux, et condensés sur des laps de temps relativement courts. Les mêmes questions se posent pour les « temps longs » de l’Histoire où une structure de la société se désagrège, faisant peu à peu place à de nouveaux modes d’exercice du pouvoir, à de nouvelles rationalités, induisant l’émergence de lignes de force nouvelles où se reconstruit et s’organise la société.
La fin du monde féodal, les crises du XVI e  siècle dans lesquelles les enjeux sont autant religieux que politiques, et la montée de la monarchie absolue, avec tout ce que cela a comporté de transformations dans les rapports de forces entre les différentes catégories sociales, dans les mentalités, les mœurs et les règles de conduite, constituent un exemple de ces lentes évolutions en lame de fond. L’idée sous-jacente est ici que l’on peut comprendre une société comme un vaste organisme avec ses limites, sa structure et son organisation interne, ses lois qui définissent les rapports entre ses membres, individus ou institutions, et les directions dans lesquelles elle évolue et se développe. Avec cette perspective, on regarde les sociétés comme des unités de vie répondant à des lois élémentaires. Il existerait donc un certain nombre d’éléments fondamentaux, d’invariants, desquels découleraient les différentes formes de société, éléments simples, en même temps que porteurs de toute la complexité de leurs évolutions.
Nous en avons déterminé trois principaux : 1) la démographie, 2) les frontières, et 3) ce qui, du plus profond de leur histoire et de leurs mythes, forme la texture intime des sociétés, leur âme, leur charpente interne. 1) Comme pour beaucoup d’organismes vivants, la vie sociale a besoin d’une masse suffisante et d’un rapport densité/taille, pour développer une culture et se construire sur l’équilibre fragile entre inertie et dynamique d’évolution. Le niveau rudimentaire sur lequel nous place la question de la démographie permet en réalité d’aborder des questions très complexes. Nous verrons que la pluralité devient condition nécessaire de la constitution du politique, lieu de construction de la mémoire et de reconstruction du passé, de mise en « intrigue » de l’Histoire. 2) Mais cet organisme n’a d’existence qu’à l’intérieur de frontières dans lesquelles l’entité culturelle, sociale, politique se forge comme vaste unité. Cette problématique de la frontière, essentielle selon nous, pose en même temps celle de l’organisation des sociétés en réseaux. 3) Ces différents thèmes convergent sur ce qu’on peut appeler le « corps interne » des sociétés, c’est-à-dire tout ce qui constitue l’âme, la structure « idéologique » de leur évolution, de leurs institutions politiques et sociales, mais aussi leurs imaginaires où se condensent, se rassemblent, s’élaborent et se pérennisent leur vie et leurs rêves.
Ces éléments fondamentaux, ces invariants tiennent autant à des données physiques, la densité démographique, les frontières plus ou moins marquées dans la géographie, qu’à des éléments moins palpables, liés aux idéaux. Par leur combinaison, on peut approcher les relations profondes entre les institutions, leur organisation interne, leur dynamique et, charpente invisible du corps social, la référence transcendante ou immanente qui est à leur fondement. Ils permettent ainsi d’aborder la question de l’identité, en la rattachant à cette référence, à ses fondements culturels, à ses formes d’expression, son style. Ils lui donnent le poids des structures tangibles qui les portent, mais aussi celui de ses mythes, de ses rêves, de ses espoirs comme de ses rancœurs. Les configurations que prend une société dans l’histoire, comme au sein des communautés particulières qui la composent, deviennent l’expression de ce qu’elle est profondément, avec son histoire et son avenir propre. Ces invariants donnent ainsi la clé des permanences et des transformations dans l’histoire des sociétés. Ils ouvrent la possibilité d’un aller et retour constant entre les contenus des évolutions spécifiques d’une culture grâce auxquels se définit et se reconnaît son identité, et les points communs qui peuvent exister entre tous ces « êtres vivants » que sont les sociétés ou même les civilisations 2 , et qui permettent de caractériser leur développement.
Si les sociétés se présentent comme de vastes organismes qui évoluent sur des « temps longs », ce qui les structure de l’intérieur doit pouvoir se décrypter grâce à l’analyse des représentations qu’elles produisent sur elles-mêmes. Nous faisons ici l’hypothèse que les invariants qui les organisent en profondeur se retrouvent dans les « idées de base », pour reprendre la formule de Weber, sous forme d’images, de représentations. Leurs contenus doivent donner accès aux grands enjeux de leurs permanences et de leurs évolutions. Est en cause ici la relation entre ce qui s’exprime dans les différentes formes de la culture et les charpentes sous-jacentes aux structures sociales et politiques, et à leurs évolutions. Comme si le contenu explicite des productions d’une culture disaient à la fois les schémas de construction de cette société et de cette culture-là, avec les agencements qui lui sont particuliers, et des invariants communs à toutes les autres.
L’analogie entre les conceptions sur le fonctionnement de la société et celles élaborées sur un organisme vivant se retrouve dans tous les contextes culturels 3 et traverse l’histoire des idées, politiques notamment, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours 4 . À la Renaissance, Machiavel, par exemple, emploie des termes médicaux pour décrire la cité et les moyens d’avoir sur elle une action politique efficace. On sait par ailleurs l’importance qu’avait, pour les architectes et les urbanistes de la Renaissance italienne, la symbolique du corps dans l’organisation des cités comme des édifices 5 . Au XIX e  siècle, pour Marx par exemple, « … la vie économique présente dans son développement historique les mêmes phénomènes que l’on rencontre en d’autres branches de la biologie 6 … ».
La constance avec laquelle cette analogie entre l’image du corps humain et l’image de la société se retrouve dans l’histoire a l’air de dire qu’elle est en réalité plus profonde qu’il n’y paraît. Tout semble se passer comme si les sociétés ne pouvaient se penser elles-mêmes qu’en référence, explicite ou pas, aux conceptions sur le corps qui ont été forgées dans leur culture. Le corps serait en quelque sorte une référence universelle, qui prend les traits que la culture et l’histoire y ont imprimés, par leur esthétique et leurs valeurs éthiques.
Il importe ici de distinguer corps social

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