Agir par la culture

Lionel Arnaud

Description

La culture a-t-elle d'abord une visée émancipatrice ? Le sport favorise-t-il le lien social ? L'art est-il autonome et détaché de toute contingence sociale, économique et politique ? Les loisirs permettent-ils aux travailleurs d’accéder à la culture dominante par l’éducation ou sont-ils le lieu de l’élaboration d’une culture populaire singulière ? A travers la notion d'agir culturel qu'il décline tout au long de l'ouvrage, Lionel Arnaud répond à ces questions formulées à l'aune de la situation et des enjeux contemporains. Pour cela, il brosse l'histoire de la politique culturelle et sportive mais aussi, bien sûr, de l'éducation populaire, avec ses mouvements, ses valeurs et ses figures (Léo Lagrange, Jean Zay, Jeanne Laurent, Benigno Caceres, Jean Vilar, Joffre Dumazedier...).

En analysant l'évolution vers une « action culturelle » apte à identifier et à diffuser les œuvres artistiques qu'il légitime, il montre comment l’Etat, sous couvert de « populariser » la culture, a pris soin de dissocier le contenu de l'agir culturel des pratiques jugées trop peu réflexives.

Mais la dimension transversale et participative des usages du XXIe siècle, notamment numériques, semble réaliser l'utopie de l’agir culturel où le spectateur deviendrait acteur et où seraient redéfinies les frontières entre amateurs et professionnels, entre secteur marchand et secteur non marchand.

Sujets

• Amerifit Brands
• Culture populaire
• Culture
• Sociologie
• Anthropologie

Informations

• Publié par: EDITIONS DE L'ATTRIBUT
• Nombre de lectures: 5
• EAN13: 9782916002675
• Langue: Français

Extrait

Lionel Arnaud
 
 

Agir par la culture

Acteurs, enjeux et mutations des mouvements culturels
 
 

Éditions de l’Attribut

Collection La culture en questions
éditions de l’Attribut
32 rue Riquet
31000 Toulouse
www.editions-attribut.fr
 
ISBN : 978-2-916002-67-5
© Éditions de l’Attribut, juin 2018, tous droits réservés.
Introduction
Cet ouvrage s’intéresse aux usages politiques de la culture,et plus exactement aux ressorts socio-historiques qui font del’art, des activités physiques et sportives, et plus largementencore des loisirs, des outils au service de la transformationsociale, dans un contexte où ces pratiques font aujourd’huil’objet d’une attention croissante de la part des pouvoirspublics. C’est particulièrement le cas au niveau local, oùles villes rivalisent de stratégies visant à faire de l’art et dusport des outils au service du développement territorial,de la résolution de situations conflictuelles, potentielles ouavérées, ou encore pour prévenir ou pallier un déficit entermes de participation citoyenne ou d’insertion sociale etéconomique. Mais si cette action par et sur la culture s’identifie aujourd’hui à la volonté de soutenir et promouvoir lacréation d’objets et d’expériences esthétiques, et d’en garantirla diffusion au plus grand nombre, sa mobilisation à des finspolitiques, sociales ou même économiques est ancienne.Dans l’esprit des philosophes des Lumières, la culture devaitcontribuer à l’avènement d’un « homme nouveau », libéré destutelles religieuses et traditionnelles qui entravent sa libertéde conscience. Il s’agissait de fonder un nouvel espace publicoù l’usage de la raison et du jugement pourrait s’exercer sansbornes mises à l’examen critique, sans soumission obligéeà l’autorité ancienne. Les diverses instances de la critiquelittéraire et artistique (les salons, les cafés, les académies, lesjournaux…) devaient constituer ce public inédit, autonome,libre, souverain 1 . La volonté d’agir par et sur la culture estainsi étroitement liée au mouvement des Lumières, que le philosophe allemand Emmanuel Kant caractérisait commel’émancipation de la personne humaine par la connaissance,comme l’acquisition par l’homme de son autonomie intellectuelle – une rupture avec l’autorité des traditions : oserpenser par soi-même et se libérer des vérités imposées del’extérieur qui maintiennent l’humanité sous tutelle. Définiejusque-là comme un acte juridique qui confère à un esclavele droit d’homme (droit romain), l’émancipation devientdès lors un projet intellectuel où la culture joue un rôlecentral, dans la mesure où cette dernière s’oppose à l’état de« nature » pour s’associer aux idées de progrès, d’évolution,d’éducation, de raison 2 .
En soulignant que les choix et les décisions individuelss’expliquent par un certain nombre de facteurs sociauxet culturels, les sciences sociales, et la sociologie en particulier, ont toutefois modéré ce projet politique. Certes, lesindividus font des choix ou prennent des décisions, maisces choix varient selon leurs dispositions et les contextessociaux. C’est pourquoi un individu n’est jamais en mesurede s’émanciper radicalement des tutelles institutionnelles,qu’elles soient familiales, scolaires, professionnelles,politiques, économiques, morales, religieuses, ou encoreartistiques et sportives…, dans la mesure où ce sont lesinstitutions et les groupes qui « fabriquent » l’individu,qui forgent ses dispositions et ses désirs pour poursuivreleurs buts, en même temps que les hommes et les femmesfabriquent les institutions et les groupes 3 . Au bout du compte,les membres d’une société sont conduits, via ces processusde socialisation, vers des destins qu’ils ont rarement eul’opportunité de choisir. Et sauf à abdiquer toute ambition explicative, parler d’« émancipation » ou de « liberté » nepeut être envisagé que comme une croyance politique 4 . C’estalors précisément cette croyance dans les capacités émancipatrices de la culture que ce livre se propose d’examiner, endiscernant des enjeux qui tiennent aux rapports sociaux etaux contextes socio-économiques. Dit autrement, il s’agit devoir comment des constructions intellectuelles portées pardes auteurs isolés ont pu être reprises (plus ou moins fidèlement) par certains entrepreneurs pour justifier et organiserdifférentes mobilisations, mais aussi pour créer certainsgroupes sociaux (le « peuple », le « public »…) ou certainspostulats (la « démocratisation », l’« accès », la « créativité »,la « diversité »…). C’est pourquoi nous nous attacheronsplus particulièrement à mettre en perspective les positions,les discours et les modalités d’intervention des acteursindividuels (intellectuels, artistes, enseignants, animateurs,journalistes…) et collectifs (État et collectivités territoriales,mais aussi associations, mouvements culturels, entreprises…) qui mobilisent la culture à des fins politiques, afind’éclairer les différentes fins poursuivies par ces derniers 5 .
En désignant comme « culturels » les objets traités par leursinterventions – à l’exclusion d’autres –, ces « entrepreneursde culture », au sens où Howard Becker parle d’ « entrepreneurs de morale 6   » , contribuent à produire ou à entretenirles principes de vision et de division du monde social quifonctionnent comme un repérage des identités, une distribution des visibilités et des modes de parole, en fonction des lieux dans lesquels tel ou tel comportement, telle outelle prise de parole sont autorisés (théâtres, scènes, stades,musées…). À ce titre, l’analyse des usages de la culture nepeut s’intéresser uniquement aux politiques d’ action culturelle , autrement dit aux seules orientations prises par lespouvoirs publics en faveur de la promotion des arts auprèsdu plus grand nombre, mais doit plus largement saisirl’ensemble des initiatives individuelles ou collectives qui,des mouvements sociaux aux intérêts organisés en passantpar les entreprises marchandes et les acteurs individuels,font des pratiques culturelles un instrument de changementsocial, ce que nous regrouperons ici sous le terme plusgénéral d’ agir culturel . Une approche qui permet de séparermoins fortement l’action de l’État et des collectivités territoriales de celle des mouvements culturels, et de restituer leschaînes d’interdépendance sociales et fonctionnelles danslesquelles cet agir est pris. Et une approche qui permet plusgénéralement d’échapper à l’enjeu que représente la qualification des groupes ou intérêts, soit pour légitimer despratiques et des acteurs culturels, soit pour les disqualifier.
Agir par la culture : une ambition paradoxale
On doit à Max Weber d’avoir mis en évidence l’autonomisation progressive de la sphère culturelle en tant que sphèreartistique différenciée. Son interrogation sur la signification culturelle de la musique s’inscrit dans sa recherche dusens spécifique de la culture occidentale 7 . Dans un monde marqué par le déclin des religions sur fond d’affirmation dessociétés capitalistes et de rationalisation, l’art permettrait depenser le sens de l’action en proposant une fonction de délivrance au même titre que la religion 8 . Mikhaïl Bakhtine apar ailleurs montré comment le développement d’un rapportesthétique au monde favoriserait une position d’extériorité( « exotopie » ) à l’égard des contingences pratiques de la viequotidienne, ce qui permettrait à l’individu d’engager unretour réflexif, de rendre compte de la situation vécue, desituer les personnages, les lieux, les moments, les actionsles uns par rapport aux autres, et finalement de travailler laforme de son expression 9 . En ce sens, l’activité esthétique sedistinguerait de l’activité pratique, d’un rapport éthique etpratique au monde qui ne serait pour sa part jamais appréhendé indépendamment de l’expérience, des situations qu’ilstructure et dans lesquelles il trouve tout son sens et toute safonction.
On mesure immédiatement les conséquences sociales etpolitiques d’une telle distinction, puisque seuls celles et ceuxqui ont le loisir de se dégager des contingence