Citoyennetés à vendre
86 pages
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Citoyennetés à vendre , livre ebook

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Description

La citoyenneté – le « droit d’avoir des droits », comme l’a définie Hannah Arendt – est aujourd’hui refusée à des centaines de millions de personnes – déracinés, réfugiés, apatrides et autres « illégaux ». Pour quelques happy fews, en revanche, les passeports sont des produits de luxe qu’ils collectionnent comme des toiles de maître, pour se simplifier la vie et payer moins d’impôts.
Ce reportage montre ce qu’est devenue l’idée de citoyenneté à l’ère des gigantesques mouvements de population et de la privatisation des États. D’un côté, les ultra-riches ont accaparé le titre de « citoyens du monde » et sont les seuls à jouir, avec leurs capitaux, d’une planète sans frontières. De l’autre, des nationalités bradées, comme dans l’invraisemblable transaction conclue entre l’une des nations les plus pauvres du monde, les Comores, et les Émirats arabes unis qui, pour régulariser la situation des apatrides sur leur territoire, ont acheté au prix de gros des dizaines de milliers de passeports comoriens.
Une captivante enquête sur les cosmopolites, volontaires ou malgré eux.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782895966975
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Lux Éditeur, 2016
www.luxediteur.com
© Atossa Araxa Abrahamian, 2015
Titre original: The Cosmopolites: The Coming of the Global Citizen
Conception graphique de la couverture: David Drummond
Dépôt légal: 3 e trimestre 2016
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (epub): 978-2-89596-697-5
ISBN (papier): 978-2-89596-232-8
Ouvrage publié avec le concours du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition, ainsi que du Programme national de traduction pour l’édition du livre, une initiative de la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018: éducation, immigration, communautés , pour nos activités de traduction.
Avant-propos
T ANT D’HISTOIRES COMMENCENT PAR DES FRONTIÈRES . J’ai grandi sans appartenance à un territoire, sans mère patrie, sans serment d’allégeance ni drapeau auxquels m’identifier. Je suis citoyenne de la Suisse, où j’ai passé mon enfance; du Canada, où je suis née pendant les vacances de ma mère; et de l’Iran, où habitaient mes parents d’ascendance russe et arménienne avant de partir étudier en Europe. Je parle un français respectable, un allemand pitoyable et un russe moyen. Je voyage dès que j’en ai l’occasion, et j’ai passé le plus clair de ma vie dans des écoles et des universités internationales, notamment à New York, où j’ai vécu le plus souvent ces dix dernières années. La plupart des gens qui m’ont vue grandir sont des employés des Nations Unies et leurs proches. À l’époque, tout le monde était international, me semblait-il. C’est ainsi que la notion d’appartenance non pas à un pays ou à une communauté, mais au monde entier, m’était intuitive.
Tous les ans, pour les fêtes de fin d’année dans mon école primaire à Genève, on nous faisait enfiler différents costumes nationaux pour chanter We Are the World devant nos familles multiculturelles et rayonnantes de fierté. La première fois que j’ai participé à ce spectacle, j’avais quatre ans et j’ai fait une crise parce que je ne savais pas quelle tenue folklorique porter.
Je reconnais l’héritage que m’a laissé cette éducation internationale – le fait de croiser régulièrement des connaissances à l’aéroport, de toujours avoir quelqu’un à appeler lors d’une escale imprévue. Cette condition vient cependant avec son lot de défis, aussi bien personnels que politiques. L’historien Tony Judt a d’ailleurs écrit au sujet théoricien palestinien Edward Saïd:
[Qu’il] faisait cette remarque pertinente, quelques mois avant sa mort: «Je ne suis toujours pas capable de comprendre ce qu’aimer son pays veut dire.» Telle est, bien évidemment, la situation des cosmopolites déracinés. Il n’est ni très confortable ni même très sûr de ne pas avoir de pays à aimer: cela peut vous attirer l’anxieuse hostilité de ceux pour qui le déracinement implique une corrosive indépendance d’esprit. C’est cependant libérateur: le monde que vous voyez n’est certes pas le paysage rassurant que voient les patriotes et les nationalistes, mais vous voyez plus loin. Comme Saïd l’a écrit en 1993: «Je n’ai aucune tolérance pour ceux qui défendent l’idée que “nous” devrions nous préoccuper uniquement ou majoritairement que de ce qui est “nôtre”.» [1]
Le malaise de Saïd face au «nous» national est un sentiment que je partage avec lui – et, comme je l’ai appris, avec nombre d’autres personnes – indépendamment de nos origines. De plus en plus, notre monde engendre des apatrides de naissance et des citoyens étrangers, des immigrés sans-papiers qui ne connaissent que la patrie qui les rejette, des hommes et des femmes du monde qui n’ont pas de chez-soi. Plus que jamais, des gens veulent ou ont besoin d’appartenir à un lieu qui ne leur a pas été assigné par le hasard de leur naissance. Ils cherchent à y être reçus, pour des raisons économiques, personnelles ou politiques: le fermier mexicain qui aspire aux emplois saisonniers en Californie; les réfugiés syriens qui fuient la violence dans des bateaux remplis à ras bord et qui se noient en route vers l’Europe; le milliardaire chinois qui investit dans des titres étrangers et envoie ses enfants à l’école au Canada; l’Irlandais qui s’est épris d’une Singapourienne dont il est séparé par des frontières artificielles, dessinées aléatoirement par l’Histoire.
L’idéal cosmopolite qu’incarne Edward Saïd est lui-même le fruit d’un accident de l’Histoire. Il est apparu en Occident après la guerre du Péloponnèse (de l’an 431 à 404 av. J.-C.), qui s’est soldé par une cuisante défaite pour Athènes et, surtout, par l’éclatement de l’ordre international sur lequel régnait la cité-État. Au siècle suivant, les meilleurs stratèges politiques de la Grèce se sont affairés à ramasser les morceaux. Déplorant l’incompétence de la démocratie, Platon a imaginé une cité-État dirigée par des philosophes rois; son célèbre étudiant, Aristote, a observé des centaines de villes afin de proposer une constitution réunissant les meilleurs éléments de chacune d’entre elles. Mais à mesure que les cités grecques dépérissaient et que de nouveaux pouvoirs émergaient, les correctifs apportés par Aristote paraissaient de plus en plus obsolètes. L’âge d’or de la polis était bel et bien révolu.
C’est dans cette trouée intellectuelle qu’est apparu l’homme au tonneau. Premier objecteur de conscience du monde occidental, Diogène de Sinope croyait que les coutumes et les règles de la cité, peu importe la cité, étaient irrécupérables. Son mode de vie – il passait son temps à débattre et à boire, il urinait à la vue de tous et dormait dans un tonneau à vin – lui a valu le surnom de kunos , le Chien. Ses disciples ont adopté fièrement le sobriquet et se sont fait appeler les cyniques. Lorsque les gens respectables demandaient à Diogène de quelle cité il venait, il répondait: «Je suis un kosmopolites », un citoyen de l’univers.
Diogène n’aspirait pas à réinventer la politique, mais à l’anéantir. Selon la spécialiste de l’ère gréco-romaine Melissa Lane, «lorsque Diogène se déclarait lui-même kosmopolites , il déclarait surtout ne pas être un polites , ne pas être un citoyen». Ce rejet de toute politique et des politiciens était une proposition aussi séduisante à l’époque qu’elle l’est de nos jours: lorsqu’Alexandre le Grand offre à un Diogène étendu nu au soleil d’exaucer n’importe lequel de ses souhaits, le philosophe le prie simplement de s’ôter de son soleil.
Les cyniques ne sont cependant ni les seuls ni les plus influents promoteurs du nouveau concept de cosmopolitisme. Une génération après Diogène, Zénon de Cition, un jeune intellectuel fauteur de troubles, a ouvert boutique en plein cœur d’Athènes, dans une colonnade commerciale appelée stoa . L’école de pensée qu’il y a fondé, les stoïciens, deviendrait l’une des principales sources d’idées en Occident pour les dix siècles à venir. Ses tenants, tout comme les cyniques, s’opposaient à Platon et Aristote, et voyaient la cité-État comme révolue. Mais alors que Diogène balayait le concept de citoyenneté du revers de la main, les stoïciens le célèbraient. Tous les hommes, affirmaient-ils, prennent part au logos , la divine raison universelle. Ainsi le monde ne doit pas être gouverné par des coutumes locales, mais par la raison suprême qui unit toute l’humanité et assure la cohésion de l’univers. De là provient, dans ses versions pauvre ou élégante, cynique ou transcendante, l’idéal cosmopolite.
Les Romains ont mis ces idées grecques en pratique: le vaste empire qu’ils ont bâti reposait en effet sur les notions d’ordre universel et de loi naturelle proposées par les stoïciens. Même à la fin de l’Antiquité, quand la «cité-monde» a cessé de régner sur son empire, la langue latine, l’Église chrétienne et le code juridique romain sont demeurés les principaux dénominateurs communs en Occident. Ce n’est que lorsque la rupture de l’unité chrétienne a mené à une autre guerre totale entre catholiques et protestants, au XVI e  siècle, que la voie s’est ouverte à un nouveau principe organisateur: un système d’États-nations souverains, dont l’emblème le plus connu est le traité de Westphalie de 1648. Le système westphalien est, pour le meilleur et pour le pire, celui dans lequel nous vivons tous aujourd’hui, celui qui délivre des passeports et qui accorde des droits souverains égaux à la France, au Koweït et à l’archipel des Comores. Depuis 1945, c’est

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