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Je m'inscrisDescription
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Publié par | Harmattan |
Date de parution | 01 mars 2010 |
Nombre de lectures | 79 |
EAN13 | 9782296227323 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0062€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
DanielCohen éditeur
Profils d’un classique,unecollection dirigée par DanielCohen
Profils d’un classiqueapour vocation d’offrir aulecteurfrançais,
par voie de l’essai oude l’œuvre pluspersonnelle,un éclairage
nouveau surdes auteursnationauxouétrangers àqui lamaturité
littéraire etla renommée nationaleconfèrentlestatutde
«classique ».S’il est vrai qu’ellevise plus spécifiquementdes auteurs
e
contemporains, etentout casnés auXXsiècle, elle pourrait
e
s’ouvrirégalement àdes auteursplus anciens, nés auXIXsiècle
notamment, maisdontl’œuvres’estdéroulée,à cheval entre les
deux siècles,soitpar sonretentissement,soitpar sa cristallisation.
ClaudeVigéesinauguré la collectionavecMélancolie solaire.
L’ont suiviRaymondEspinoseavecdes textes surAlbertCossery
etBorisVian,GeorgesZiegelmeyer surleCoréenJoJong-Nae,
et,cerisesurle gâteau,AndréGide, dontlespoésies,tiréesdes
Cahiers d’AndréWalter, illustréesparChristianGardair, ont
conféréàla collectionunetouche prestigieuse.Pourladernière
saison de2009,sontprévusletexte deDidierMansuy surMarcel
Jouhandeau,HamidFouladvindsur sonamiLouisAragon età
nouveauClaudeVigéeavecunsomptueuxL’extase etl’errance.
D’autres titres sonten préparation pour2010.
ISBN :978-2-296-08729-3
©Orizons,Paris,2009
Une grammaire des sentiments
Hypothèses sur
lespremièresannéesde lavie
Du mêmeauteur
Annéesd’apprentissagesur le divan, fragmentsde monanalyse,
puf,Paris1978.
Lettre ouverte d’un psychanalysteà Dieu,Z’éditions,1994.
Tilmann Moser
Une grammaire
des sentiments
Hypothèses sur
lespremièresannéesde lavie
Traduitde l’allemand parDina LeNeveu
2009
Titre original :GrammatikderGefühle,Suhrkamp,1976
ère chérie, méchante Mère
M
Ton absence, à l’aube,voilà ma maladie : jesuis
couché etj’attendsle camion poubelle qui m’emportera
pourme déchiqueter. Je mesenscommeuneterre
desséchéesurlaquelle plus rien, jamaisnerepoussera.Dansma
mémoire, je n’arrive même plus à retrouver tonvisage.Il
n’estplusdevoixen moi pourmeconsoler.Quandcetétat
s’empare de moi, l’avenir s’efface, il nesert à rien de me
dire:la vieva revenir.Je deviensincapable de mesourire
dansle miroir,sans y voir unrictushumiliant.Je me dis :
lève-toi, mêmes’il n’estquecinq heures, fais une
promenade dansle parc,cela te feradu bien. Mais une foisassis
surlerebord dulit, c’en estfini de ma détermination. Sans
la certitude que quelque chose pourraitchanger,s’habiller
serévèleun acte bientrop épuisant. Le chat se lamente
dansla cuisine et réclamesa pitance. J’ypourvoisde façon
mécaniquesansmêmevoirqu’en dépitdesa faim, ilveut
avant toutqu’on lesalue etle caresse avec gentillesse. Il
m’importune avecsa joie devivre.
Mère, je commencetoutdoucementà comprendre que
jet’ai perduetroptôt. Parlasuite, plus rien ne circulera
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entre nos yeux, alorsmême que nous serons touslesjours
ensemble. Tun’aspas senti que j’étaisdevenuorphelin.
Chaque jourcertes,tum’as réveillé, nourri, élevé, exhorté,
tum’asinondé deta présence, mais tune m’asplus rejoint ;
oualorsc’estmoi qui n’ai plus su t’atteindre, hormisdurant
le chantetla prière, oulorsque jeteregardaisde profil,
admiratif : oui, quand jeteregardaismettreun nouvel
enfantau sein, consolerle frère malade, êtreune
consolatrice pourlesmaladesetlespauvres.
Aujourd’hui, je dois tenter,avecl’aide
detiercespersonnes, deretrouveren moiune partdetoi.J’aibesoin
d’uneaide extérieure pour vivre notre intimitésans
succomberàlapanique, pour recherchercette intimitésans
êtreterrassé parlesentimentquetoutceci n’estpasprévu
dansmon incompréhensibletrajectoire.Tune pouvais
supporterlecontactphysiquetandisque moiaucontraire,
j’aspiraisprofondémentàtetoucher.Aufinal, j’ai faitde
moncorps unblocendurci pourne plusêtretenaillé par
cette faim detoi.J’aitirésurmespenséespouren faire des
passerellesme permettantd’atteindre d’autrespersonnes.
Maiscesontlàdespontsfragilesqui ne portentpas.Ily
avait toujours un gouffre.Comme je ne pouvais t’atteindre,
jet’aiàlafoisidolâtrée ethaïe.J’aiapprisàmarcher trop
tôtparce que je ne pouvaism’affaler sur toi.
Je mesuis souvent vengé en neterendantpas
tonsourire.Jet’ai punie enalimentant tesdoutesde ne pasêtre
unebonne mère.Très tôtdéjà, nousnous sommesfait un
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malterrible,sans vraimentlesavoirni levouloir. Tu seras
étonnée d’apprendre ce que nousavons vécu, à l’époque
oùlesmédecinsne cessaientdeterépétercetteterrible
phrase – je n’avaisalorsque quelquesmois- :votre mari
nesurvivra pas.Etceci durantplusdesixmoisjusqu’au
jouroù, pourtant, ilsereleva, mutilé, deson litde malade.
Jevoudraisaussite diretoutlebonheuràdeuxdont
nousavonsété privésà cause detoutce malheurquis’est
abattu sur toi.Ah,siseulementje pouvaismaintenant,
simplementposermatêtecontretoi et reposerainsi,au
lieudetechercher si loin dansle passé.J’ignore quelâge j’ai
aujourd’hui.Je me laissesombreretemporterenarrière.Je
suisâgé de quelquesmois, jevoudraisêtrecouchésur ton
ventre lorsquetu tereposes ;j’aimerais vivresanspeurcette
liquéfactionaucontactdeta chaleur, j’aimeraisme fondre
avectoi,toutensachantque grâceàtesbraset tesmains
qui mesoutiennentetmecaressent,tumereconstitueras
etmeredonneraslaforme d’un petitêtre humain.Jeserais
soulevéau rythme detarespiration douce, et
toutensentantparfaitementlesbattementsdetoncœurcontre moi,
j’auraiscettecertitude:toi etmoi, nousnousappartenons
et toncœurbatpourmoi.
J’aimeraism’endormir sur tonventre
etmesentirprotégéàtoncontact.Tupourraisessuyer une larme de joie,
çane me dérangeraitpas.Tupourraisaussi,si laposition
devenait trop inconfortable pour toi,
mesouleverdélicatementetme porterdansmon lit,à condition que jesois
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TILLMANNMOSER
assuré deta présence à monréveil. Tudoisêtre à ma portée,
sinon les sensationseffrayantes surgissent trop brutalement
etc’estla panique. Tu sentiraiscomme mespieds sont
froidsà présent, et tulesfrotteraisentretesmainspourles
réchauffer.D’abord, je ne parvienspas àdifférenciermes
piedsdetesmains,c’est commeun écheveaudechaud etde
froid qui faitpartie detoi etmoi.Puis, nousgoûtonsnotre
fusion dechaud etde froid,celadonneun peula chairde
poule;maislorsquetumesouris, que lajoie me fend le
visage etque jeteretourneunsourirerayonnant,alorscet
écheveauchaud etfroid devientlesymbole dubonheur.
Il mesemble que je pousse descrisderavissement, etainsi
s’estompe en moi l’angoisse quece mauditfroid partant
despiedsn’envahissetoutmoncorps.Tuaschassé de mon
corpsque jeconnaisencoreàpeine, la bête inconnue du
grand froid.Je merendors. Mes yeux sontpleinsdeton
visage. Tonregard, je l’emporte dansmonsommeil.
Je croisque maintenant, jevaispouvoirentamerma
journée d’adulte etl’affronter.
Mère, l’aube est revenue,un peuplus tard aujourd’hui,
parce que j’ai pris un calmant ; un cauchemarm’aréveillé
ensursaut. Jevoudraisquetu viennesà mon chevetet
m’apaisesdetesparoles. Il mesemble avoircrié en
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m’éveillant, et tuasperçude la peurdansce cri. Tuesassise
à côté de moi, jesens ta mainsecourable derrière matête,
tu t’approchesde moi avec précaution. Tune mesoulèves
pasdans tesbras, car tu saisque mon corpsestencoretout
disloqué, il luiseraitencore impossible derépondre à la
pression detesmains. S’ilte plaît, jet’en prie, approche
seulement tonvisage de mon oreille pourme murmurerdes
parolesapaisantes. Je ne puisen effet t’expliquerque lerêve
estencore ancré en moi, commeune bête envahissante et
paralysante. Leson detavoixcalme lui fera honte. Quand
ellesentirata force, elles’enfuira. Jet’en prie. Jet’en prie,
reste auprèsde moi, assieds-toi desorte que même couché,
je puisse blottirmonvisage contretoi;etprendsaussi ma
tête dans tesdeuxmains. Soispatientesi je ne me calme
pasimmédiatement,unrêve pareil estintense.Reste près
de moi jusqu’à ce que moncorps s’éveille etque mes yeux
y voient clair.Alors seulement, jeseraicertain de ne pas
enfouirde forcecette peurdansmoncorps,commes’il
était une poubelle pour toutesleschosesque je n’arrive
pasencoreàsupporter.Etilyenatant.Tu sais, je me
sers souventde moncorpscomme d’unecave, oùje jette
ce qui estmauvais.Voilà, maintenantje peuxpleurer, et
tunevaspasperdre patience, non,tu s