Les Nourritures affectives
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Les Nourritures affectives , livre ebook

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Description

Pourquoi et comment tombons-nous amoureux ? À quoi rêvent les foetus ? À qui appartient l'enfant ? La violence est-elle nécessaire ? Pourquoi dit-on des personnes âgées qu'elles retombent en enfance ? À quoi servent les rituels ? Voilà quelques-unes des questions abordées par Boris Cyrulnik dans ce livre qui examine, depuis le stade foetal jusqu'à la vieillesse, les pathologies affectives à l'origine des maux les plus flagrants de nos sociétés : violence, racisme, délinquance, agressions sexuelles, etc. Boris Cyrulnik anime un groupe de recherche en éthologie clinique à l'hôpital de Toulon-La-Seyne.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 1993
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738178275
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR  aux éditions Odile Jacob
De l’inceste , avec Françoise Héritier et Aldo Naouri, 1994.
L’Ensorcellement du monde , 1997.
Un merveilleux malheur , 1999.
Retrouvez les Éditions Odile Jacob sur le site www.odilejacob.fr Nouveautés, catalogue, recherche par mots clefs, journal
© O DILE J ACOB , MARS  2000
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
ISBN : 978-2-7381-7827-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Où est le problème ?

Savez-vous que la pensée occidentale a modifié le comportement des chiens ?
Depuis quatorze mille ans qu’ils nous côtoyaient et participaient à nos histoires, ils ont fini par se considérer comme des surchiens ! Notre imprégnation culturelle a modifié leur psychisme !
Comme tous les êtres civilisés, ils aboient beaucoup, exprimant ainsi leur participation à nos échanges verbaux. Mais si les chiens campagnards n’aboient qu’en connaissance de cause, les chiens sauvages n’aboient guère, car tous les chasseurs se taisent, quelle qu’en soit l’espèce.
Nous avons là sous nos yeux, et dans nos oreilles, la réponse au très vieux débat philosophique sur les parts respectives de l’inné et de l’acquis : une espèce génétiquement douée pour aboyer devient silencieuse en milieu naturel et aboyeuse en milieu civilisé 1 . Les chiens nous font comprendre qu’une même promesse génétique prend des formes différentes 2  selon qu’elle se tient dans une écologie naturelle ou dans un milieu parolier.
Bien sûr, une vie de chien n’est pas une vie d’homme, quoique la réciproque ne soit pas vraie. Un monde de chien, avec ses odeurs fortement évocatrices, ses sonorités qui déclenchent des sensations inimaginables, ses visions floues et douces comme des pastels 3 , ce monde éveille en lui des émotions et des représentations profondément imprégnées de condition humaine. Pauvres bêtes, elles ont tout subi de notre part, nous les avons pensées à toutes les sauces : nous les avons divinisées dans nos temples péruviens, nous avons porté leur deuil dans notre belle civilisation égyptienne, nous les avons haïes au Moyen Âge quand nous les accusions de magie noire, nous les avons aimées, craintes, utilisées, adorées et cuisinées. Il n’est pas de participe passé que les chiens n’aient enduré.
Depuis qu’en Occident nous les prenons pour des œuvres d’art vivantes, chargées de stimuler notre affectivité 4 , ils vivent comme des patachons et nous mordent de plus en plus parce qu’ils se considèrent comme nous dominant 5 . Dans les civilisations qui se les représentent comme des fouilleurs d’ordure, ils sont tellement méprisés qu’ils se sentent dominés. Là, ils mettent la queue entre leurs pattes, baissent leurs oreilles et évitent les hommes.
Freud eût aimé cette manière de poser les questions, lui qui écrivait : « Il existe chez l’être humain des formations psychiques héritées, quelque chose d’analogue à l’instinct des animaux, c’est là ce qui constitue le noyau de l’inconscient. 6  » ; et ailleurs : « S’il était vrai, en général, que l’observation directe des enfants suffît, nous aurions pu nous épargner la peine d’écrire ce livre 7 . » Cette remarque nous invite à observer toute espèce d’être vivant dans son milieu naturel, pour essayer de nous représenter le monde nécessaire à son existence.
C’est peut-être parce que l’observation est source de plaisir physique qu’elle a été combattue ? Des philosophes du dix-septième siècle ont même été emprisonnés pour avoir vanté l’observation directe 8 . Il a fallu Laennec, au dix-neuvième siècle, pour prétendre que certains signes, observés sur le corps d’un malade, pouvaient désigner une lésion en profondeur 9 . Auparavant, le diagnostic de la maladie aveuglait la perception des signes. Dès le quinzième siècle, on savait décrire correctement la variole dont les pustules captivaient le regard. Mais on ne pouvait pas en découvrir la cause, faute de microscope. Il était impensable qu’un micro-organisme pût en infecter un gros ; d’ailleurs on savait , on avait en effet remarqué que l’épidémie « n’emportait que ceux qui avaient désobéi à leur père », ce qui était à coup sûr vrai. On fabriquait ainsi la « preuve » que toute peste était une punition divine 10 .
Quand on n’aime pas observer, on cherche ses explications dans les mythes. Ce qui ne veut pas dire qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour observer. Pendant la guerre du Rif au Maroc, de 1920 à 1926, les soldats étaient devenus moroses, abattus et pleurnichards. Les médecins militaires venaient de découvrir que la parasitologie expliquait un grand nombre de symptômes cliniques auparavant attribués à des humeurs toxiques. Ils sont donc partis, le plus logiquement du monde, à la recherche du parasite de la grinche, qui aurait pu expliquer pourquoi nos vaillants soldats étaient devenus grincheux.
On croit qu’il n’y a de savoir que par l’observation, alors qu’on n’observe que ce que l’on sait percevoir. Nos sens nous trompent, si bien qu’une observation sans méthode ne donne à voir que ce qu’on désire y trouver. De Clérambault, le maître-complice de Jacques Lacan, fut le seul psychiatre spécialiste du fétichisme des étoffes : lorsqu’il s’est suicidé, on a découvert qu’il collectionnait lui-même les étoffes et les photos de drapés étranges 11 . Il percevait électivement les formes auxquelles il était le plus sensible. Sa vision du monde reproduisait son monde intime. En fait, la perversion des étoffes n’existe pas, sinon toutes les femmes en seraient atteintes.
Lorsque certaines pièces de notre appareil à observer se détraquent, le monde perçu change de forme. Parfois, c’est l’alcool qui abîme les tubercules de Korsakoff, de petits ganglions qui constituent une sorte de relais dans les réseaux de la mémoire : alors, plus rien ne peut servir d’expérience au sujet sans mémoire, qui se transforme aussitôt en homme sans histoire.
Sous l’effet d’une insuffisance de circulation sanguine, une petite zone, enfouie sous le gros noyau du thalamus, peut s’abîmer : instantanément, l’organisme perd toute motivation 12 . Le sujet déclare avec la plus grande sincérité « que rien ne vaut la peine d’être vécu ». Mais une simple injection d’hormones, ou une stimulation des neuro-médiateurs de cette zone, lui fait s’exclamer aussitôt, avec autant de sincérité : « La vie est merveilleuse, comment ai-je pu dire que rien ne valait la peine d’être vécu ? » L’humeur qui donne au monde sa coloration affective, le goût de vivre, est très facile à manipuler.
La forme du monde perçu dépend de celle de l’appareil à percevoir. La destruction localisée d’une toute petite zone du cortex latéral, qui traite l’image, donne du monde un dessin avec un « trou », une lacune dans les informations à cet endroit. Si ce « trou » se situe à la pointe du lobe occipital, les informations visuelles sont correctement perçues mais ne s’agencent plus en image. Le sujet n’est pas aveugle et pourtant il ne voit rien !
Le langage, qu’on a tant de mal à définir malgré le fleuve verbal qui coule à son sujet, peut instantanément se perdre quand une zone du cerveau temporal cesse d’organiser les sons pour en faire des mots. Le sujet n’est pas sourd, mais les sonorités verbales ne veulent plus rien dire.
Même le temps, cette notion abstraite, cesse d’être un objet sensoriel quand une lésion de la pointe du lobe frontal interdit toute anticipation 13 . Le sujet vit alors dans une succession de présents où rien ne prend sens. Plus rien ne l’angoisse car il n’a plus rien à craindre de l’avenir.
L’observation naïve comme une évidence renseigne beaucoup plus sur la personnalité de l’observateur que sur la chose observée. Certains, ceux qui doutent jusqu’à l’obsession, accumulent les signes au point de tout brouiller. D’autres, moins angoissés, se contentent de percevoir deux ou trois indices à partir desquels ils généralisent poétiquement. Les pervers cherchent le détail qui permet de moucher leurs collègues et de les humilier en soulignant leur ignorance 14 .
Pour beaucoup, l’observation est une terreur. L’observable est haïssable car il chosifie l’autre au lieu de l’idéaliser, ce qu’il conviendrait mieux de faire, pensent-ils.
Ceux qui ont du plaisir à observer considèrent que ce qui fait signe, c’est toujours une différence. Une information stéréotypée ne fait qu’engourdir l’intelligence en renforçant ce qu’elle sait déjà. C’est pourquoi les méthodes comparatives permettent de comprendre plus facilement. Pour innover, la pensée doit faire une association improbable, un coup de poésie qui surprend et éveille. La certitude est une antipensée, une litanie intellectuelle.
La description d’un monde animal et sa comparaison au monde humain constituent un réservoir d’associations poétiques stimulantes pour la pensée. Il n’est jamais question d’extrapoler, encore moins de réduire l’homme à l’animal. C’est plutôt le contraire : la découverte du nouveau continent de l’animalité souligne par contraste la spécificité humaine.
Les animaux ont des performances sensorielles éblouissantes. Ils agencent leurs perceptions en fresques représentant le monde 15  et nous apprennent ainsi que tout être vivant, pourtant fait de matière, échappe à la matière. Que dire de l’homme alors, ce fabricant de signes qui invente le monde pour mieux le percevoir ?
La méthode comparative nous permet de décrire le monde dans lequel nous vivons com

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