Mathieu Mestokosho, chasseur innu
162 pages
Français

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Mathieu Mestokosho, chasseur innu , livre ebook

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Description

C’était une époque où l’écriture n’existait pas, où les heurs et malheurs du quotidien étaient consignés dans la tête des anciens. Gardiens du temps, ils étaient archivistes du territoire, qu’ils sillonnaient saison après saison et dont ils connaissaient chaque rivière, chaque montagne. Ces récits du vieux chasseur Mathieu Mestokosho ont été collectés par l’anthropologue Serge Bouchard en 1970. Ils concernent la dernière génération des Innus à avoir passé leur vie entière dans le Nitassinan, confrontés, de campement en campement, du lac Brûlé à la rivière Saint-Jean, aux incommensurables forces de la nature. Mémoires d’une humanité nomade révolue, ils ont une valeur documentaire inestimable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 21 avril 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782902039395
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À la lectrice, au lecteur
Maurice Godelier
Médaille d’or du CNRS
Prix de l’Académie française
L’anthropologie est la seule science sociale qui impose aux chercheurs de s’immerger de façon prolongée dans les modes de vie et de pensée d’une autre société que la leur et dont ils n’avaient jamais eu l’expérience dans leur existence. Peu à peu, l’anthropologue, s’il a réussi à nouer des liens d’amitié et de travail avec ceux qui l’avaient accueilli parmi eux, découvre et comprend leurs façons de penser et d’agir, et peut alors en témoigner parmi nous. Ce n’est pas seulement de leur temps présent qu’il va témoigner, car une grande part de l’identité d’une société est faite d’un passé toujours présent et de récits, de moments de gloire ou de blessure, à vif dans la mémoire.
Dans le monde où nous vivons, et où l’hégémonie séculière de l’Occident est en train de disparaître, mais n’est pas oubliée de ceux qui l’ont subie, où des puissances nouvelles revendiquent de continuer à se moderniser sans plus s’occidentaliser, la connaissance de ce que font et sont les sociétés autres que les nôtres, est plus que jamais importante et doit être partagée par les jeunes générations.
C’est pour ces raisons que l’initiative de créer une nouvelle maison d’édition, Dépaysage, et de la consacrer en priorité à la publication d’ouvrages d’anthropologie est à la fois une entreprise courageuse et importante. On n’en saura jamais assez sur les autres, et grâce à eux, sur nous-mêmes.


 
 
Éditeur Amaury Levillayer, PhD
Réalisation éditoriale Joël Faucilhon — numérisation Marie-Laure Jouanno — conception graphique ; réalisation et du cahier de couverture © Olivier Mazoué — illustration de la quatrième de couverture, éléments graphiques et logotypes
Édité par © Éditions du Boréal, 2004, pour les droits mondiaux à l’exception de la langue française hors Canada © Éditions Dépaysage, 2023, pour la langue française pour tous pays à l’exception du Canada Tous droits réservés
Pour la réalisation de cet ouvrage, les éditions Dépaysage ont reçu le soutien financier du Centre national du livre.
ISBN (papier) : 978-2-902039-38-8 ISBN (epub) : 978-2-902039-39-5
En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du code de la propriété intellectuelle du 1 er  juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.


Mathieu Mestokosho, chasseur innu
Serge Bouchard
Préface — Marie-Hélène Fraïssé Notes — Yvette Mollen, professeure à l’Université de Montréal



Préface — Mathieu Mestokosho ou le monde perdu des Innus
Certains livres infléchissent le cours d’une vie. Celui que vous vous apprêtez à lire a changé la mienne, il y a presque un demi-siècle.
Fraîchement débarquée à Mont­réal, à l’automne de l’année 1978, je découvris dans une librairie pour étudiants, sur les hauteurs de la ville, un livret à couverture souple caché sous une pile poussiéreuse : la toute première version imprimée des mémoires de Mathieu Mestokosho, modestement titrée Chroniques de chasse d’un Montagnais de Mingan .
Tard dans la nuit qui suivit, j’en dévorai toutes les pages au fond de mon lit d’hôtel, au vingtième étage d’une tour de béton. Les fenêtres de la chambre étaient scellées. Il fallait brancher la télévision pour savoir quelle pouvait bien être la température dehors. J’avais rêvé de grands espaces canadiens et je me voyais claquemurée dans une modernité nord-américaine aliénante. Le récit de Mathieu Mestokosho fit voler en éclat cette prison dorée et me projeta dans le territoire du Nord qui avait été le sien, celui des siens, pendant des millénaires. Un vaste pays de mémoire, en aval de ce même grand fleuve, le Saint-Laurent, qui sinuait tout en bas, corseté par la métropole et éclairé a giorno. Une contrée lointaine qui sentait la résine d’épinette, la mousse, la tourbe.
On y croisait des hardes de plusieurs milliers de caribous dont l’haleine chaude formait comme un nuage. On y montait une tente en un tournemain à l’aide de quelques perches plantées autour d’un « feu de roche ». Quand la chasse était bonne, on y faisait d’incroyables festins de viande, de graisse animale, de viscères. On pouvait tout aussi bien y mourir de faim si l’on s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Rude pays qui n’autorisait aucun droit à l’erreur ou à la paresse. Mais où chaque humain, au cœur du vivant, était maître de son existence et, plus souvent qu’on ne pourrait le croire, pleinement heureux.
Mathieu Mestokosho arpenta toute sa vie ces vastitudes boréales. Il en avait l’usage. Il en acceptait toutes les cruautés. En savourait toutes les magnificences. C’est ce qu’il raconte dans ce livre. Avec une poignante et pudique nostalgie. Car cette vie dure et libre avait été, de génération en génération, celle des siens : les « Montagnais ». Ainsi appelait-on, au xix e  siècle où naquit Mathieu, et jusque tard dans le xx e  siècle, les Innus, peuple algonquien établi de longue date dans ce haut pays sillonné de majestueuses rivières. Rassemblés l’été le long de la côte nord du Saint-Laurent, les Innus partaient à l’automne, par petits groupes, remontant les rivières en canot, à la perche, parcourant d’immenses territoires dont ils connaissaient, et avaient nommé, le moindre arpent. Leurs itinéraires saisonniers à travers les étendues dont ils avaient eu l’usage exclusif, aujourd’hui trouées de coupes à blanc et inondées par les retenues d’imposants barrages hydro­électriques, maillaient la vaste péninsule du Labrador.
Jeune reporter radio, effectuant un tout premier « grand reportage », je ne savais pas très bien où je mettais les pieds en débarquant dans ce Québec de 1978, alors en pleine ébullition. Mes « contacts » (du côté de la poésie et de la chanson, grâce à des connexions familiales) se nommaient – excusez du peu – Pierre Perrault, Félix Leclerc, Gaston Miron… Or, une fois sur place, je ne tardai pas à entrevoir, derrière les grandes figures et par-delà les légitimes revendications politiques, culturelles, linguistiques du peuple québécois, une présence autre, assez largement ignorée par nombre de ceux qui soulignaient à bon droit l’antériorité française en terre canadienne. Celle de l’« Indien ». Du « Sauvage ». On utilisait ces termes, alors…
Le reportage changea de cap. La lecture du récit que vous avez entre les mains y fut pour beaucoup. Notre petite équipe cingla vers le village innu de Pessamit. Les portes s’ouvrirent chaleureusement aux « Français de France » que nous étions. Mais aurions-nous le temps, dans le délai imparti par notre « ordre de mission », d’aller jusqu’à Mingan tendre nos micros à Mathieu Mestokosho pour en­re­gistrer sa voix, recueillir sa parole vive ? De pousser ensuite jusqu’à Nutashkuan ? Jusqu’à La Romaine (Unaman-shipu) ? L’Européen sous-­estime toujours les distances en terre américaine. Il fallut, grande frustration, y renoncer en partie.
Je conservai précieusement le petit livre. Les mots de Mathieu recueillis par Serge Bouchard (le futur merveilleux conteur des Remarquables oubliés) continuèrent de cheminer en moi. Je percevais derrière ce récit d’autres voix muselées, moquées, qu’il fallait donner à entendre. Tout un monde autochtone que notre « civilisation » autoproclamée rendait inaudible sur tous les continents, en particulier aux Amériques, vouées à n’être jamais, elles, décolonisées…
Mathieu Mestokosho, lorsque Serge Bouchard enregistre son témoignage à Mingan ( Ekuanit­shit ) en 1971 , est un vieil homme « de plus de quatre-vingts ans ». On s’en tiendra à cette imprécision, sa date de naissance exacte n’ayant été consignée dans aucun registre d’état civil. Chaudement installé près du poêle à bois, il dévide son récit, fil sans fin, au rythme de sa berçante, jolie appellation québécoise désignant le fauteuil à bascule. Tournent les bobines du magnétophone à bandes qu’a apporté l’anthropologue. Mathieu s’échauffe. Il a trouvé, en même temps qu’une oreille attentive, le moyen – lui qui n’a jamais su écrire – de fixer sur un matériau durable l’essentiel de ce que fut son mode de vie, dont les générations suivantes n’ont désormais qu’une vague idée. Car si les proches de Mathieu l’écoutent parfois, lorsqu’ils ne sont pas requis par d’autres tâches ou d’autres loisirs, peut-être leur arrive-t-il de faire sentir au patriarche que ses récits d’un monde perdu sont de la vieille histoire…
C’est en réalité un trésor de la mémoire humaine que recèlent les souvenirs de cet homme, dont l’existence enjamba la fron­tière entre le monde ancien des chasseurs-cueilleurs itinérants et ce qu’il est convenu d’appeler la modernité. Aux générations futures son récit lègue d’innombrables détails sur ce que fut la vie matérielle « dans le bois » (portage du canot, confection des pièges, stratégies pour débusquer le castor dans sa demeure, pour sortir l’ours de sa tanière…). En même temps qu’un testament moral, poétique, profondément humain, d’une dignité exemplaire. Par le courage qu’impliquent les tâches ici décrites, et surtout par la pudeur du récit qu’il en fait. Sans jamais forcer le trait sur le poids des sacs à porter, la fatigue des longues marches dans le froid, le traîneau (toboggan) surchargé à tirer, l’incertitude d’une survie liée en grande partie aux hasards de la chasse.
Ce qui frappe particulièrement est la préoccupation constante qu’y exprime Mathieu du sort de ses semblables. Pas seulement celui de sa famille – car femmes et enfants partaient eux aussi dans le bois l’hiver entier – mais de tout autre individu ou groupe susceptible de se trouver « mal pris » dans les parages. Sa chasse générant parfois d’énormes surplus, Mathieu veille scrupuleus

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