Nous, migrants
89 pages
Français

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Nous, migrants , livre ebook

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Description

Lors du festival Visions d'exil (Paris, novembre 2017), sur la scène du palais de la porte Dorée, un jeune poète se demande ; "De quel pays suis-je ? Je n'en sais rien. Je suis l'exil en personne." Ce poète, auquel l'Ofpra a refusé l'asile, s'appelle Mohamed Nour Wana. Ils sont des milliers, d'Afrique, d'Afghanistan, de Syrie, de Tchétchénie, contraints de quitter leur pays, à avoir choisi la France, "pays des Droits de l'Homme". L'Etat français se montre non seulement indigne dans la gestion de l'accueil, mais il s'en prend à ceux qui leur viennent en aide. La société civile, elle, sauve l'honneur. Les collectifs Good Chance Theatre, la Fabrique nomade, l'atelier des artistes en exil, réussissent ce prodige : redonner dignité et joie de vivre à des personnes meurtries par les souffrances de la migration et de l'exil.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 février 2019
Nombre de lectures 7
EAN13 9782336866093
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Copyright





















© L’Harmattan, 2019
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
www.editions-harmattan.fr
EAN Epub : 978-2-336-86609-3
Titre

ADRET







Nous, migrants
Sous le même nom

Sous le même nom

Travailler deux heures par jour , Seuil, 1977.
Résister , Minuit, 1997.
Le Changement climatique, aubaine ou désastre , Cerf, 2007.
La Révolution des métiers verts , Autrement, 2011.
Même si on pense que c’est foutu , Harmattan, 2017.
À Blessing Matthew, noyée dans la Durance en tentant d’échapper aux forces de l’ordre.
« Après tout, les réfugiés ne font que revenir . Ils ne débarquent pas de rien, ni de nulle part. Quand on les considère comme des foules d’envahisseurs venues de contrées hostiles, quand on confond en eux l’ennemi avec l’étranger, cela veut surtout dire que l’on tente de refouler quelque chose qui, de fait, a déjà eu lieu : quelque chose que l’on refoule de sa propre généalogie. Ce quelque chose, c’est que nous sommes tous des enfants de migrants et que les migrants ne sont que nos parents revenants, fussent-ils « lointains » (comme on parle des cousins). »
(Georges Didi-Huberman, Passer, quoi qu’il en coûte, Paris, Minuit, 2017.)
Présentation
Daniel Schiff Adret
Lors du festival Visions d’exil (Paris, novembre 2017), sur la scène du palais de la porte Dorée, un jeune poète se demande : « De quel pays suis-je ? Je n’en sais rien. Je suis l’exil en personne. »
A l’âge de cinq ans, il a quitté le Darfour. Enfance et adolescence au Tchad. Fait prisonnier en Libye, il s’est enfui, a traversé la Méditerranée. Arrivé sur la côte italienne, au petit matin, il lit dans les yeux de ses compagnons de voyage épuisés de fatigue la joie de vivre .
Ce poète, auquel l’Ofpra a refusé l’asile, s’appelle Mohamed Nour Wana. Son visage est lumineux, son ton calme, presque serein. On se demande d’où lui vient son magnifique sourire. Hannah Arendt, dans un article intitulé « Nous autres réfugiés 1 » , propose une interprétation : cette gaîté affichée traduirait un optimisme forcené, voisin en fait du désespoir. Observant les photos de migrants dans le camp d’Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne, Georges Didi-Huberman, quant à lui, croit deviner que s’ils sourient, c’est que le pire est derrière eux.
Mohamed nous accorde un entretien. Puis il nous fait visiter l’atelier des artistes en exil où il dispose d’un bureau pour travailler à l’écriture de son livre. Au cours de la visite, il nous présente à Amir I., peintre syrien. Celui-ci interrompt sa peinture pour bavarder avec nous. Il est tout de suite d’accord pour une interview.
Nous branchons le magnétophone. Amir nous parle en anglais, une heure durant. Transcrire ses paroles, les traduire, puis fabriquer un texte qui restitue, le mieux possible, son ton, sa voix, nous prendra quelques dizaines d’heures. Lorsque nous le revoyons un mois plus tard, il a fait lire le texte à une amie francophone, et nous donne son accord. Can I ask you a question ? demande-t-il, intervertissant malicieusement les rôles, Why do you do this ? Pourquoi en effet ? Parce que nous aimons ce travail de passeur de paroles. Ces étonnants voyageurs nous font prendre conscience de la violence de la migration, mais ils nous font aussi découvrir une richesse humaine. De ces rencontres sont nées d’inattendues et précieuses amitiés.
« L’art est ma maison, nous dit Amir, le seul lieu où je me sente en sécurité. Mon pays a été détruit. Je n’ai jamais pensé que trois années en France suffiraient à faire de la France mon nouveau pays. J’aime ce pays, mais je ne lui appartiens pas. J’appartiens à ma peinture. Lorsque vous êtes en exil, l’art devient le pays que vous n’avez plus. »
L’atelier lui a permis de renouer avec sa peinture, – chez-soi mobile 2 qui prend la place de la terre natale et du foyer perdu.
Marion Guémas est juriste, et se bat pour faire respecter les droits des étrangers enfermés dans les centres de rétention administrative. Espérance Minart, révoltée par le traitement réservé aux jeunes isolés, se démène pour leur trouver un toit. Toutes deux nous décrivent des entretiens kafkaïens à l’Ofpra ; l’absurde distinction entre d’une part les politiques , qui sont les bons demandeurs d’asile, et de l’autre les économiques , qui seraient les mauvais ; elles nous racontent les expulsions des dublinés vers un pays tiers, d’où, aussitôt arrivés, ils risquent d’être renvoyés vers les pays qu’ils ont fuis. En les écoutant, je pense à mes grands-parents.
Ils avaient quitté, avant la Première Guerre mondiale, leur village de Galicie orientale – province polonaise qui faisait à l’époque partie de l’empire austro-hongrois – pour s’installer en Allemagne. Après y avoir vécu plus d’un quart de siècle, ils quittent ce pays au moment de l’arrivée au pouvoir de Hitler, et se réfugient en France, où vivent déjà mes parents et où ils demandent l’autorisation de séjourner. Dans une lettre du 16 août 1934 – lettre que j’ai découverte récemment aux Archives nationales – le préfet de police écrit, au sujet de mes grands-parents :
« Les intéressés, qui sont de nationalité polonaise, ne peuvent se targuer de la qualité de réfugié d’Allemagne à aucun titre ; ils reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes ne pas avoir été personnellement molestés, et être venus en France dans l’espoir de se créer une situation plus lucrative ; il y a lieu de noter en outre que le fils aîné des époux Schiff continue à résider en Allemagne où il n’est nullement inquiété. Dans ces conditions j’estime qu’il n’y a aucune raison de revenir sur les mesures d’éloignement dont sont frappés les époux Schiff dont la présence sur notre territoire est, à mon avis, dénuée de tout intérêt. En conséquence, je me propose de faire mettre ces étrangers une dernière fois, et sous menace d’expulsion, en demeure de quitter la France dans les moindres délais… »
Mes grands-parents quittent donc la France fin 1934 et retournent en Allemagne. De là, ils seront expulsés vers la Pologne où ils disparaîtront sans laisser de traces.
Judith Depaule est metteur en scène de théâtre. Elle dirige l’atelier des artistes en exil . Un lieu pour accueillir, mais aussi un lieu pour créer. Un lieu où Carlos Lutangu Wamba, jeune sculpteur congolais, qui a été arrêté par la police dans son pays lors d’une manifestation à Kinshasa, a réalisé une sculpture, Le Réfugié. Où Lina Aljijakli, peintre et scénographe syrienne, restée sept ans dans l’impossibilité de pratiquer son art, s’est remise à la peinture.
Inès Mesmar est convaincue que pour beaucoup d’artisans réfugiés l’amour de leur métier est la clef d’une bonne insertion. Elle a créé la Fabrique nomade, où ces artisans peuvent valoriser leur savoir-faire. En binôme avec un designer, ils réalisent un objet – bois, cuivre, tissu, verre – qui leur servira de CV.
Lors de l’exposition Trait d’union 2, organisée en mai 2018 par la Fabrique nomade, nous admirons un vase en bois réalisé par Aslan Y., ébéniste tchétchène réfugié en France. Aslan accepte volontiers le principe d’un entretien – en russe – à une seule condition : que l’interprète ne soit pas russe. L’entretien aura lieu quelques semaines plus tard, grâce à ma belle-fille tchèque, Jindra Schiff, qui traduira pour nous le récit d’Aslan. Tout au long de ce long récit, nous ne quittons pas des yeux son visage où se lisent la fierté, la détermination, l’humour ; son sourire est communicatif – comme on le dit d’un fou rire. Pour expliquer son exil forcé, Aslan remonte à la politique stalinienne des années 1930, lorsque son arrière-grand-père a été exproprié et déporté en Sibérie. Il évoque la déportation massive des Tchétchènes vers le Kazakhstan en 1944. Puis les deux guerres particulièrement meurtrières – 1994-96 et 1999-2000 – menées par l’armée russe en Tchétchénie et qui ont servi de laboratoire à l’intervention russe

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