Nos années vaches folles
99 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Nos années vaches folles , livre ebook

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99 pages
Français

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Description

"En trente, en quarante ans, notre vie quotidienne a été bouleversée d'une façon incroyable, et dans tous les domaines. Y avez-vous vraiment prêté attention ? Tiens ! un exemple parmi cent. Vous ne devinerez jamais l'étrange découverte que je fis l'autre jour au petit matin, dans mon quartier. Je me rendis compte de cette chose épatante et hallucinante à la fois : mon boucher vient à son travail en rollers ! Il y a trente ou quarante ans, le boucher, statue antique en blouse rougie (avec le crayon derrière l'oreille), semblait appartenir à une catégorie de figures immuables. Il nous semblait devoir toujours rester tel qu'il nous apparaissait : un homme-tronc coincé à jamais entre son billot, sa machine à jambon et sa femme, assise derrière la caisse "et sept qui font dououououze..., c'est moi qui vous remerciiiie". Et soudain, parce qu'on la voyait sous un autre angle, l'antique statue se métamorphosait en un mercure aux pieds ailés, vif comme le progrès, léger comme les temps nouveaux. Même les bouchers font du patin : c'était la preuve vivante que la vieille société figée de notre enfance cédait enfin la place à un monde monté sur roulettes, glissant vers un avenir qui, décidément, ne cesse de nous étonner."


Dans ce texte inédit, François Reynaert, avec le ton si particulier qui fait le succès de ses chroniques dans Le Nouvel Observateur, pose son regard amusé et caustique sur les petits et grands changements de notre société. Mine de rien, et plus efficacement peut-être que bien des thèses de sociologie, il sait comme pesonne analyser notre vie quotidienne, tout en nous faisant rire. Avec Nos années vaches folles, il nous offre de nous retourner une dernière fois sur cette fin de siècle, dans un bilan désopilant où chacun se retrouvera.





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 mai 2011
Nombre de lectures 267
EAN13 9782841114948
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Pour en finir avec les années 80  (en collaboration avec Marie-Odile Briet et Valérie Hénau), Calmann-Lévy, 1989.
Sur la Terre comme au Ciel (en collaboration avec Francis Zamponi), Calmann-Lévy, 1990.
Une fin de siècle , Calmann-Lévy, 1994.
L’air du temps m’enrhume , Calmann-Lévy – Le Nouvel Observateur, 1997.
FRANÇOIS REYNAERT
NOS ANNÉES VACHES FOLLES
© NiL éditions, Paris, 1999
EAN 978-2-84111-494-8
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Prologue

Devant vous, perdus dans la sombre forêt de l’avenir, les chemins épars d’un long millénaire qui s’ouvre. Derrière, de creux et de bosses, un drôle de siècle qui s’achève. Au carrefour, vous, moi, nous, ployant sous ce lourd sac à dos qu’on appelle la vie, ahanant, transpirant comme de vieilles mules dans une côte, songeant aux ampoules qui nous font souffrir – l’amour, l’amitié, la mort, quel réveillon pour l’année prochaine ? –, l’esprit hanté par ces vastes questionnements qui font la noblesse de l’humaine condition – « quand est-ce qu’on mange ? » – et totalement perdus, comme de juste, dans cette excursion : les balisages sont si mal faits de nos jours, comment s’y retrouver ? Aussi, amis randonneurs, je vous le dis, pour un instant seulement, posons les charges qui pèsent sur nos épaules, oublions nos pauvres pieds dolents, et tâchons de nous employer à ce que l’on fait toujours dans ces cas-là, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai : faisons le point.
L’époque est aux bilans, direz-vous. Ah, elle est d’un gai, cette fin de millénaire ! Le monde ressemble à une PME qui n’en finirait plus d’attendre la visite du polyvalent. On a toujours le nez, ces temps-ci, dans les livres de comptes du siècle, sans parler des siècles passés, et on ne cesse plus d’en refaire les opérations : « Voyons, je pose les morts de 1914, je retire Sarajevo – qui me compte double –, je vérifie mes mille ans de Moyen Âge, je demande aux archives les arriérés de l’Empire romain et je refais le total de la dette de la révolution russe... » Bon, on n’a pas tous les jours 2 000 ans. Cela étant, dans ce grand mouvement de soldes comptables en tout genre qui encombrent l’édition, le cinéma et la télévision, ce livre, si vous me pardonnez cette forfanterie, se voudrait être un rien différent. En général, dans les rétrospectives, on parle de l’Histoire, la grande, celle qui fait les tragédies et creuse les tranchées meurtrières, celle qui souffle sur les peuples et fait chuter, dans son grand vent, les gouvernements, les dynasties et les commentaires des émissions de post- prime time à la télévision. Parfois aussi, à défaut de regarder derrière, on ouvre des perspectives, et alors on parle chinois. Ou plutôt, en ce moment, on parle le Bill Gates , une langue qui chante l’avènement d’un monde vaste comme l’Internet et beau comme un programme sous Windows, et à laquelle, de toute façon, on n’entend rien non plus. Ce petit ouvrage, lui, voudrait, dans ce langage qui est le nôtre, parler d’une chose plus simple et plus immense à la fois : la vie. La vie, la vôtre, la mienne, les courses à Shopi, l’anniversaire de votre nièce, le bureau, la machine à café, les drames de la photocopieuse, les films qu’il y a à voir cette semaine, la retraite de papy, la Tunisie l’été prochain. La vie, disais-je. Avez-vous remarqué comme elle a changé ?
Je ne dis pas depuis 2 000 ans, bien sûr. Entre le temps où M. Jules César embrassait la carrière qui devait le couvrir de gloire, et celui où M. Clinton y réussit tout aussi bien, en n’étreignant que des stagiaires, la façon d’être au quotidien, les mœurs ont légèrement varié, c’est entendu, mais on s’en doutait un peu. Je me contenterai d’une course moins ambitieuse. Dans les pages qui suivent, je ne vais parcourir ni les millénaires ni les siècles. Je voudrais simplement couvrir la distance qui sépare le garçonnet rigolard, au petit bedon tombant sur le slip éponge, jouant sur une plage de vacances, entre un papa aux cheveux coupés en brosse et une maman belle comme une starlette et dont, à l’instant, vous venez de retrouver au fond d’un tiroir la photographie jaunie, et le grand dadais qui aujourd’hui mange des sushis d’un doigt rêveur et distancié, passe des heures à la piscine parce que, avec la quarantaine qui approche à grands pas, ce n’est pas le moment de se relâcher du côté de la sous-ventrière, et se partage, comme chacun, vaille que vaille, entre ses amours, son travail et ses amitiés. Vous l’aurez compris : je voudrais parler de vous. Enfin de vous, et aussi de moi, un peu, bien sûr. Alors, disons que je voudrais parler de vous, de moi, de nous, des gens , quoi !
 
Essayer de brosser le tableau de notre vie à nous, les gens , en l’an 2000, en mettant en perspective tout ce qui y a changé depuis que nous étions petits, voilà le but de l’ouvrage que vous avez entre les mains. En trente, en quarante ans, cette vie a été bouleversée d’une façon incroyable, et dans tous les domaines. Y avez-vous vraiment prêté attention ? Regardez ce que vous rangez dans le frigo, le samedi, au retour des courses, songez à la façon dont vous parlez à vos enfants, aux relations entre les hommes et les femmes, à vos destinations de vacances, à l’idée de jeunesse, à ce vieux mot de province . Accumulez tout cela dans votre esprit et vous verrez, du haut de cette pyramide, ce ne sera plus trois décennies, mais quelques millénaires, vraiment, qui vous contempleront. Tout change, vous dis-je, et les preuves les plus étonnantes de ces changements éclatent parfois soudainement, au coin même de notre rue. Tiens ! un exemple parmi cent. Vous ne devinerez jamais l’étrange découverte que je fis, l’autre jour, alors que, par un hasard que je m’explique à peine, je traversais au petit matin mon quartier du IX e arrondissement de Paris. Il était très très tôt – 9 heures ou 9 h 30 peut-être. C’était l’heure où les commerçants ouvrent leur échoppe. Et je pus ainsi me rendre compte de cette chose incroyable, épatante et hallucinante à la fois : mon boucher vient à son travail en rollers.
Oui. Mon boucher vient en rollers, je répète cette phrase, je ne m’en lasse pas. Sans doute la trouvez-vous idiote, ou peut-être simplement ne comprenez-vous pas pourquoi elle m’étonne tant. Ce garçon a le droit de circuler comme il l’entend, nous sommes bien d’accord. Et peut-être est-ce une pratique courante chez les commerçants de mon arrondissement : peut-être la boulangère ou le crémier eux-mêmes font-ils du skateboard ? Et pourquoi pas ?
Simplement, cette vision me frappa parce qu’elle m’apparut comme le symbole de tout ce que je voudrais montrer dans les deux cents pages qui suivent. Il y a trente ou quarante ans, tout au moins dans la représentation qu’enfants nous nous en faisions, le boucher, statue antique en blouse rougie (avec un crayon derrière l’oreille), semblait appartenir à une catégorie de figures immuables. Ainsi créé par les dieux il y a des temps et des temps, il nous semblait devoir rester pour les siècles des siècles tel qu’il nous apparaissait : un homme-tronc vêtu d’un tablier taché de boudin, coincé à jamais entre son billot de bois, sa machine à jambon, et sa femme, assise devant la caisse, à rendre la monnaie : « et sept qui font douuuuuze..., c’est moi qui vous remeerciiieeee. » Et soudain, parce qu’on la voyait sous un autre angle, l’antique statue se métamorphosait en un Mercure aux pieds ailés, vif comme le progrès, léger comme les temps nouveaux. Même les bouchers font du patin : c’était la preuve vivante que la vieille société figée de notre enfance cédait enfin la place à un monde monté sur roulettes, glissant vers un avenir qui, décidément, ne cesse de nous étonner.
 
Ce livre s’appelle donc « Nos années vaches folles ». Je tiens à le préciser d’emblée : c’est sans rapport avec l’anecdote que je viens de vous conter. Je ne veux pas d’ennui avec les commerçants de mon quartier, moi. Mon boucher, qui fait du roller-blade, aime sans doute les modes qui viennent des États-Unis, mais sa viande, elle, vient de France – en tout cas c’est ce

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