Rapport d'information déposé (...) par la mission d'information commune en conclusion des travaux de la mission sur les conditions d'emploi dans les métiers artistiques
Le présent rapport d'information s'intéresse aux conditions dans lesquelles s'exercent les professions artistiques, quels que soient le secteur (spectacle vivant, spectacle enregistré, arts visuels, disciplines de l'écrit), la catégorie d'emploi (artistes - interprètes ou auteurs -, techniciens ou personnels administratifs), le mode d'exercice (salarié ou indépendant), la nature des relations contractuelles, les modalités de rémunération, les droits sociaux et la gestion du parcours professionnel, de l'entrée dans l'activité à la fin de carrière, en passant par la gestion des périodes d'inactivité. Si la mission relève de nombreux points positifs dans ce secteur attractif et en forte croissance (contribution à la richesse de l'économie et à la vitalité des territoires, rôle majeur dans le renforcement du lien social ainsi que pour le rayonnement culturel de la France), elle note cependant que les emplois artistiques s'exercent majoritairement dans des conditions précaires, en dépit de certaines avancées (amélioration de la couverture conventionnelle, droits sociaux adaptés aux caractéristiques des métiers artistiques et actions de professionnalisation). Sur ces constats, la mission présente un ensemble de recommandations visant à améliorer les conditions d'emploi dans les métiers artistiques, tout en prenant en compte la question de l'amélioration du solde financier du régime d'assurance chômage de l'intermittence du spectacle.
Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Extrait
N° 941 ______
ASSEMBLÉENATIONALECONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de lAssemblée nationale le 17 avril 2013. RAPPORTTIMAONIDORNF DÉPOSÉ en application de larticle 145 du RèglementPAR LA MISSION DINFORMATION COMMUNE en conclusion des travaux de la mission surles conditions demploi dans les métiers artistiques(1)ET PRÉSENTÉ PARM. JEAN-PATRICKGILLE, Député. ___
(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page
La mission dinformation commune à la commission des affaires culturelles et de léducation et à la commission des affaires sociales sur les conditions demploi dans les métiers artistiques est composée de: M. Christian Kert, président, M. Jean-Patrick Gille, rapporteur, M. Pierre Aylagas, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Valérie Boyer, M. Thierry Braillard, Mme Marie-George Buffet, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Christophe Cavard, Mme Virginie Duby-Muller, M. Hervé Féron, M. Henri Guaino, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Annie Le Houerou, M. Dominique Le Mèner, Mme Véronique Louwagie, M. Laurent Marcangeli, Mme Martine Martinel, M. Michel Pouzol, M. Franck Riester, M. Denys Robiliard, M. Marcel Rogemont, M. Francis Vercamer
A. DES MÉTIERS ATTRACTIFS, LARGEMENT OUVERTS ET PRODUCTEURS DE RICHESSES....................................................................................................... 11
1. Un emploi en forte croissance........................................................................... 11 a) La grande diversité des métiers artistiques....................................................... 11
b) Un secteur en fort développement..................................................................... 18 c) Les caractéristiques des professionnels du secteur............................................ 20
2. Une richesse pour léconomie, les territoires et le « vivre ensemble »......... 21
3. Une absence de barrières à lentrée................................................................ 23 a) Des métiers attractifs dans un marché du travail ouvert................................... 23 b) Une condition de léclosion des talents, selon des modalités spécifiques........... 25
c) Pratique amateur et pratique professionnelle : une frontière mouvante............. 27 B. DES CONDITIONS DEMPLOI DIVERSES ET PRÉCAIRES..................................... 28 1. Lexercice indépendant : isolement et vulnérabilité........................................ 28 a) Des artistes aux profils variés et en manque de reconnaissance........................ 28 b) Des artistes sous-rémunérés............................................................................. 35 2. Lemploi salarié : discontinuité et flexibilité...................................................... 54
a) Le salariat érigé en principe, lhyperflexibilité consacrée par lusage.............. 54 b) Une croissance du secteur déséquilibrée ?........................................................ 67
c) Des revenus composites et fragiles.................................................................... 78 II. UN EMPLOI ARTISTIQUE À CONFORTER ET À MIEUX PROTÉGER CONTRE LA PRÉCARITÉ................................................................................................................. 87
A. DES EFFORTS SOUTENUS DE STRUCTURATION SOCIALE................................ 87
1. La volonté des partenaires sociaux de parvenir à une couverture conventionnelle.................................................................................................. 88 a) De très nets progrès dans le spectacle vivant.................................................... 89
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b) Des avancées similaires dans le domaine de la prestation technique................. 94 c) Une couverture conventionnelle fragmentée dans laudiovisuel........................ 95 d) Des résultats contestés dans lédition phonographique..................................... 100
e) Un blocage dans la production cinématographique.......................................... 102 2. La construction de droits sociaux originaux pour tenir compte de conditions demploi particulières................................................................. 105 a) Les droits sociaux des auteurs : lassimilation aux salariés.............................. 105 b) Les droits sociaux des salariés : ladaptation à la discontinuité de lemploi...... 115 c) Des règles dassurance chômage spécifiques.................................................... 129
3. Des métiers en voie de très nette professionnalisation.................................. 147 a) Le soutien à la professionnalisation des employeurs......................................... 147
b) La structuration des formations initiale et continue.......................................... 153
c) Laccompagnement professionnel des salariés.................................................. 156 B. DESEFFORTS À APPROFONDIR POUR SÉCURISER LES PARCOURS PROFESSIONNELS................................................................................................. 160 1. Stabiliser les parcours........................................................................................ 161
a) Développer lemploi permanent pour sécuriser les parcours professionnels..... 162
b) Rémunérer équitablement les professionnels..................................................... 177
c) Lutter contre les fraudes qui fragilisent lemploi artistique............................... 184 2. Garantir la pérennité du régime dassurance chômage de lintermittence du spectacle......................................................................... 193 a) Poser un diagnostic partagé pour dépasser les polémiques sur léquilibre financier du régime.......................................................................................... 193
b) Garantir le maintien de règles dassurance chômage spécifiques...................... 214 3. Achever le chantier social.................................................................................. 226 a) Mener à son terme la construction dune protection sociale adaptée................ 227 b) Apporter une réponse à la difficile situation des « matermittentes ».................. 242 c) Poursuivre les efforts de structuration du secteur artistique.............................. 247 d) Prolonger les efforts en matière daccompagnement professionnel................... 250 e) Renforcer le soutien de la puissance publique................................................... 254
4. Soutenir les expériences innovantes................................................................ 256 LISTE DES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION................................................ 261
TRAVAUX DES COMMISSIONS................................................................................... 267 ANNEXE N° 1 :COMPOSITION DE LA MISSION...................................................... 295
ANNEXE N° 2 :LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES.................................... 297
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ANNEXE N° 3 :INTERVENTION DES MINISTRES DE LA CULTURE ET DU TRAVAIL DEVANT LA MISSION................................................................................... 305
ANNEXE N° 4 :DOMAINES DACTIVITÉ ET FONCTIONS ENTRANT DANS LE CHAMP DAPPLICATION DE LANNEXE VIII DE LA CONVENTION DASSURANCE CHÔMAGE........................................................................................... 313
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I N T R O D U C T I O N
En janvier 1995, le Président de la République François Mitterrand déclarait devant le Parlement européen : «Lexception culturelle, cest lidée que les uvres de lesprit ne sont pas des marchandises comme les autres ; cest la conviction que lidentité culturelle de nos nations, et le droit pour chaque peuple au développement de sa culture, sont en jeu ;cest la volonté de défendre le pluralisme, la liberté, pour chaque pays, de ne pas abandonner à d tres ses au moyens de représentation, cest-à-dire les moyens de se rendre présent à lui-mêmeIl exprimait ainsi sa conviction, empreinte duniversalisme, dune. » responsabilité particulière de la France dans la création artistique, conçue comme un outil démancipation des individus. Cest cette conviction qui fonde lexception culturelle française et a permis dimpulser une politique de promotion de la diversité culturelle que notre pays sattache à défendre au sein des instances internationales.
Or, ce principe doit être incarné : sans les professionnels de la création, lexception culturelle nest quun slogan. Ils en constituent, pour certains, les hérauts glorieux, et pour dautres, les artisans anonymes.
Trop connus, ils éclipsent lhumble bataillon qui sactive en coulisse. Méconnus, ils condamnent toute politique culturelle à lhémiplégie.
En 2004, lAssemblée nationale examinait le rapport dinformation sur les métiers artistiques présenté par M. Christian Kert(1). Depuis lors, notre Assemblée navait pas mené de réflexion densemble sur ce thème pourtant essentiel, même si certains de ses aspects ont pu être traités de manière ponctuelle, par exemple dans le cadre de rapports spéciaux ou pour avis relatifs aux crédits du ministère de la culture.
Il était temps dactualiser la réflexion engagée il y a presque dix ans de cela. En dépit de lattachement de tous les parlementaires à lexception culturelle française, bien peu de travaux ont été consacrés, de manière transversale, à ceux qui contribuent à la faire vivre.
Il convient de partager un constat quont pu dresser les membres de la mission au fur et à mesure des auditions : le rôle dans la société et la place dans léconomie de la culture ne sauraient être négligés ou mésestimés.
En effet, quil sagisse de spectacle vivant ou enregistré, déducation artistique ou de diffusion du patrimoine ancien ou contemporain, la culture joue un rôle majeur déducation et démancipation, et permet à une société de faire corps et de lui donner du sens.
(1) M. Christian Kert,Rapport dinformation sur les métiers artistiques, XIIelégislature, n° 1975, 7 décembre 2004.
8 De plus, par sa créativité, ses emplois, son rayonnement, la culture est un puissant facteur de développement économique, le plus souvent durable, car il sagit demplois non délocalisables.
Cest pourquoi la commission des affaires culturelles et de léducation et la commission des affaires sociales ont décidé, le 25 juillet 2012, dès le début de la présente législature, de créer une mission dinformation commune sur les conditions demploi dans les métiers artistiques.
Cette démarche ne procédait en aucun cas dune volonté dingérence politique dans les affaires artistiques, mais reposait sur un constat : si linspiration sexprime hors de tout cadre, le travail de création doit sexercer dans le respect de règles juridiques.
La mission a fait le choix détudier ces métiers dans toute leur diversité. Elle na exclu aucune discipline artistique : ont ainsi été abordés tant le spectacle vivant que le spectacle enregistré, les arts visuels ou les disciplines de lécrit.
Elle a inclus dans ses travaux toutes les catégories demploi : artistes quils soient interprètes ou auteurs , techniciens ou personnels administratifs, car tous contribuent à la création.
Elle a également abordé tous les modes dexercice, quils soient salariés ou indépendants. Elle a enfin souhaité adopter une conception large de la notion de « conditions demploi » en étudiant la nature des relations contractuelles, les modalités de rémunération, les droits sociaux et la gestion du parcours professionnel, de lentrée dans lactivité à la fin de carrière, en passant par la gestion des périodes dinactivité.
Pour embrasser la diversité de ces métiers et de ces problématiques, il aura fallu pas moins de quarante-quatre auditions, en plus de vingt séances, soit plus de deux cent trente personnes entendues : organisations professionnelles, syndicales, économistes, sociologues du travail, institutions publiques ou paritaires, ministres. Tous ont pu livrer leur analyse. Loccasion dun dialogue entre la représentation nationale et lensemble des acteurs du secteur culturel, dans toutes ses composantes, ne se présente pas si souvent. Ce dialogue est pourtant nécessaire et aura permis des échanges extrêmement fructueux.
Ces auditions ont été dune grande richesse, dont la sécheresse des chiffres ne saurait rendre compte. Eu égard à lintérêt quelles ont suscité, la mission se félicite donc de sa décision, prise dans un esprit de transparence, douverture systématique de ses travaux à la presse et de leur diffusion sur le site internet de lAssemblée nationale.
Votre rapporteur sest efforcé de rendre compte dune manière aussi fidèle et synthétique que possible des informations et propositions, très nombreuses, qui ont été recueillies. Son travail sest nourri des contributions des membres de la
9 mission et tente de refléter, autant que possible, la diversité des sensibilités qui se sont exprimées.
Il lui semble que des problématiques communes à lensemble des métiers artistiques peuvent être dégagées.
Le constat qui peut être dressé est celui de la croissance des métiers artistiques, très attractifs et ouverts, et de la contribution de ces métiers à notre économie, à nos territoires et à notre société. Trop souvent dénoncés comme une charge improductive, les métiers artistiques constituent une richesse dont on doit senorgueillir.
Mais ces métiers artistiques sont aussi précaires et fragiles. Le dynamisme de léconomie de la culture, qui contribue au rayonnement international de la France, ne se traduit pas, dans les faits, par des conditions demploi privilégiées, bien au contraire. Pour les appréhender avec objectivité, il convient tout dabord de se défaire des idées reçues et des clichés, pour sattacher à étudier la réalité de leurs conditions demploi. Car ainsi que lont montré les travaux de la mission dinformation, cest bien la précarité que les métiers artistiques ont en partage : pour les auteurs, on peut parler disolement et de vulnérabilité, tandis que le travail salarié se caractérise par lirrégularité et la flexibilité. Derrière les « vedettes » que lon peut retrouver dans chaque discipline, on trouve de nombreux travailleurs qui peinent à « joindre les deux bouts ».
On est donc bien loin de certains lieux communs décrivant les professionnels des métiers artistiques comme des « profiteurs » usant et abusant dun système « dassistanat » qui leur serait particulièrement favorable. La réalité à laquelle a été confrontée la mission dinformation est toute autre : ces professionnels sont placés dans une situation de risque professionnel permanent et leurs conditions matérielles demploi se caractérisent par une incertitude extrême, inhérente aux projets créatifs. Passer ce point sous silence, cest adopter, délibérément, une approche biaisée. La mission dinformation a, pour sa part, souhaité aborder la question avec objectivité.
Tout lenjeu consiste donc à conforter lemploi artistique en le protégeant mieux de la précarité. À cet égard, les partenaires sociaux et les pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités, en menant des efforts soutenus de structuration sociale du secteur : amélioration de la couverture conventionnelle, droits sociaux adaptés aux caractéristiques des métiers artistiques et actions de professionnalisation.
Malgré ces avancées, les auditions de la mission dinformation ont permis didentifier certaines insuffisances.
Il convient, en premier lieu, de stabiliser les parcours professionnels, ce qui suppose de développer lemploi permanent et de lutter contre la « permittence », plus particulièrement présente dans laudiovisuel, mais aussi de sécuriser les rémunérations et de lutter contre les fraudes.
10 Il faut également aborder sereinement la question du régime dassurance chômage de lintermittence du spectacle. Votre rapporteur souhaite livrer une analyse respectueuse des prérogatives des partenaires sociaux qui auront bientôt à se prononcer sur cette question. Il convient donc de poser un diagnostic partagé et de tordre le cou à certaines idées reçues.
Pour cela, il faut dabord dépasser les polémiques sur léquilibre financier du régime. Lévaluation de son déficit à un milliard deuros relève dune approche strictement comptable. Si celle-ci nest pas en soi contestable, elle ne peut suffire à guider la décision. Il est somme toute naturel quun dispositif dassurance couvrant un risque particulièrement élevé pour une catégorie de la population en loccurrence, le risque de chômage pour les intermittents du spectacle soit déficitaire, au plan comptable, à la seule échelle de cette population. Cest bien le principe de la solidarité interprofessionnelle de couvrir ceux qui sont les plus exposés au risque. La mission dinformation a donc souhaité dépasser cette approche pour apprécier la réalité du coût des règles spécifiques du régime dassurance chômage de lintermittence du spectacle. Elle a pu constater quil se situait très nettement en deçà du milliard deuros régulièrement brandi par les détracteurs du système.
Pour autant, la mission dinformation na pas souhaité éluder la nécessité de certains ajustements pour contenir les déficits. Dans un esprit de responsabilité et un souci déquité, elle émet donc des recommandations pour améliorer le solde financier du régime, guidées par quelques principes simples : protection des plus fragiles, contribution des mieux insérés sur le marché du travail, réduction des effets pervers. Cest ainsi que lon pourra, tout à la fois, réaffirmer la nécessité et garantir lexistence de règles dassurance chômage adaptées aux conditions demploi très particulières des métiers du spectacle.
Lamélioration des conditions demploi dans les métiers artistiques suppose aussi dachever le chantier social ouvert par lÉtat et les partenaires sociaux, quil sagisse de la protection sociale, de la couverture conventionnelle ou de laccompagnement professionnel. Enfin, des expériences innovantes dorganisation de lemploi artistique seront évoquées comme autant de pistes dévolution possibles.