L’arrivée d’un train de Mantes animait les quais sous un ciel gris et humide du milieu de février.
impasse d’Amsterdam, une haute maison où la Compagnie de l’Ouest logeait certains de ses employés.
Pendant un instant, le souschef de gare, Roubaud, songea à sa gare du Havre.
On ne vous dérange que pour vous flanquer votre paquet, et tout de suite à la niche !
Je vois…
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Gare SaintLazare.
Tiens ! Monsieur Roubaud…
Bonjour, Dauvergne !
Vous couchez à Paris ?
non, je rentre au Havre ce soir.
J’ai pris l’express de 6 h 40 ce matin, tout ça pour me faire sermonner par le chef d’exploitation.
Bon retour alors et le bonjour à madame !
Elle est à Paris. Elle est venue avec moi.
Mais, lorsqu’elle fait les magasins, on ne l’arrête plus.
Bon sang, les femmes…
J’ai trop faim, tant pis…
L’achat d’une paire de bottines et de six chemises ne demande pas la journée.
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Hum…
Mais qu’est ce qu’elle fabrique ?
Bien, bien, bien…
imaginetoi, impossible d’avoir un omnibus !
Je savais bien qu’il nous tirerait d’affaire.
Des occasions uniques !
J’ai un petit cadeau. Dis “Mon petit cadeau”.
Et tout ça pour rien, j’aurais payé le double au Havre…
Nous avons donc eu raison de lui rendre visite ce matin avant que tu ailles recevoir ton savon...
Tu as dû croire que j’étais perdue.
Et toi ? Ton affaire ? ça s’est terminé comment ?
Alors, ne voulant pas dépenser l’argent d’une voiture, j’ai couru…
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Sans la bonne recommandation du président Grandmorin, ton parrain, j’aurais certainement été muté.
C’est moi !
Tu ne me feras pas croire que tu viens du Bon Marché…
Mon petit cadeau…
Et tes emplet tes ?
Le chef m’a donné raison de m’être opposé au souspréfet qui voulait monter avec son chien dans une voiture de première. Mais il m’a quand même obligé à signer une lettre d’excuse.
Regarde comme j’ai chaud !
Vilain, vilain, taistoi ! Tu sais bien que je t’aime.
il a le bras long, dans la Compagnie…
À propos, j’ai oublié de te demander…
Pourquoi astu donc refusé au président d’aller passer deux ou trois jours à Doinville ?
Tu crains peut être de passer pour sa fille plutôt que pour sa filleule...
Dans notre position, nous avons besoin de lui.
Je sais…
il paraît que, du vivant même de sa femme, toutes les bonnes y passaient.
Oh ! Certaine ment, c’est un homme qui a le bras long.
Eh bien ! à quoi donc pensestu ?
Tu ne manges plus, tu n’as donc plus faim ?
Ce n’est guère adroit de refuser ses politesses ; d’autant plus que ton refus a eu l’air de lui causer une vraie peine…
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Non seulement il t’a fait élever comme une demoiselle, mais il a très sagement administré tes quatre sous. Et il a arrondi la somme, lors de notre mariage…
Mon Dieu ! Va ! quand bien même tu serais sa fille !
Mais à rien…
Sa fille… sa fille ?!
Enfin, ça ne me disait pas.
Je ne veux pas que tu plaisantes avec ça !
Estce que je puis être sa fille ? Estce que je lui ressemble ?
Non, non, laissemoi !
Chut…
Mon petit serpent…
Bon, bon…
En voilà assez, parlons d’autre chose…
ça me gêne ici !
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Parce que je préfère rentrer avec toi au Havre.
Je ne veux pas aller à Doinville, parce que je ne veux pas.
Rien que l’idée, en ce moment…
Non, non, nous ne sommes pas chez nous.
Je t’en prie, pas dans cette chambre !
…
C’est à la CroixdeMaufras, qu’il m’en a fait cadeau, pour mes seize ans.
Qui donc ? Le président ?
Nom de Dieu de garce !
?
Eh bien !
Tu as couché avec !
Tu m’as toujours dit que c’était ta mère qui te l’avait laissée, cette bague…
Je n’ai pas parlé de ma mère, mon chéri, tu te trompes.
Le reste d’un vieux, nom de Dieu de garce !
Oui, c’est vrai. Laissemoi m’en aller.
Avoue que tu as couché avec, nom de Dieu !
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il n’y a pas de mal à ce que le président t’ait donné une bague. il t’a donné bien autre chose...
Avoue que tu as couché avec !
S’il te plaît, non !
ou je t’éventre avec ton petit cadeau !
Tu vas lui écrire de partir ce soir par l’express de six heures trente et de ne se montrer qu’à Rouen.
Comme ça, nous resterons ensemble. il y aura quelque chose de solide entre nous…
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Et à quel âge, hein ? Toute petite, n’estce pas ?
Ainsi, tu as couché avec, garce !
Et c’est pour ça qu’il t’invitait encore, cette fois ?
il faut que je le crève… que je le crève !
Cinq heures vingt, nous avons le temps.
Qu’estce qu’il t’a fait ?
...et ce que je vais faire, je veux que tu le fasses avec moi.
Tu m’y envoyais, j’ai dû me fâcher, rappelletoi… Tu vois bien que je ne voulais plus. C’était fini.
Ce que je vais faire, tu le verras bien…
il désirait te caser pour que ça continue. Et vous avez continué, hein ?