LE MYSTÈRE DE GAULLE. SON CHOIX POUR L’ALGÉRIE BenjaminStora Paris, RobertLaffont,2009,270pages Après une décennieconsacréeauxexactionspolicières,militairesetjudi-ciairesde laguerre d’Algérie,LeMystère deGaullesigneunretouràl’his-toire politique duconflit.Larichebibliographie écarte lanouvelle école historique pour se focaliser surlesanalysespolitiquesduconflit,et sur une impressionnantesérie detémoignages,quiconstituentlesarchivespri-mairesde l’ouvrage.L’auteur,passionné parlapolitique,n’ajamaisquitté ceterrain de prédilection, comme entémoignentles sujetsdethèsesdeses doctorats.Maisdans ses travauxpersonnels,ils’étaitjusqu’alorsconsacré àdeuxaxesparticuliers,la constitution etle devenirdunationalismealgé-rien,etl’héritage mémoriel de laguerre d’Algérie. BenjaminStoras’attaque iciàl’acteurcentral, côté français,de laguerre d’Algérie,l’homme quiasuscitéautantde haine que devénération dans sa conduite dudésengagementfrançais:deGaulle.Revenuaupouvoirdu faitdecette guerre interminable,portéàlaprésidence de la République pour sauvegarderl’Algérie française,il devientl’acteurcentral desadéco-lonisation.Danscetessaicourtmaisdense,l’auteurnecache pas sonadmi-ration pourl’orfèvre d’unebrillantestratégie politique,etpour saqualité detacticien horspair.Dumilitaireaupolitique,ladifférence n’estici pas de nature. De lapartd’un historien quiavécuà12ansl’exode « pied-noir» de l’été 1962, avantdese lanceravecfougue dansl’aventure du trotskismerévolu-tionnaire,puisd’entrerdansla carrièreuniversitairesurlespasdeCharles RobertAgeron,l’hommage n’estpasmince !Àlalecture de l’ouvrage, cettecontradictionapparentes’éclaircitquand l’auteur,fidèleàsesécrits surMessaliHadj etFerhatAbbas,place la complexité humaine etl’expé-rience duGrandHommeaucœurde l’Histoire.Icis’éclaire le discret hommageàladeuxième gauche,etlescritiquesdesadeptesde l’histoire desmasses,qu’ils soientmarxistesounationaux/tiers-mondistes.Pour B.Stora, ce n’estpas uneruse de l’Histoire qui faitde l’homme du13mai l’acteurde laséparation d’avecl’Algérie,mais son intelligence des rap-portsde force,et sonsensde l’Histoire.LeGrandHomme (mêmesi l’auteurn’emploie pascette expression)voitmanifestementplusloin et plus vite quesescontemporains. Cetteréhabilitation dupolitique, àtraverslevolontarisme d’un homme et sa capacité d’entraînement,situesonauteurdanslapremière desdeux écolesde l’histoirecoloniale définiesparDanielRiveten 1992:l’une privi-
lectures
légie leshommesetleursactes,quand lasecondes’intéresseaux structures etauxmasses.Cetouvrageapparaîtà cetégardcomme le pointde fuite dansl’œuvre de l’historien.Aprèsavoirexploré les«tenants» nationa-listesdecette guerre,et ses«aboutissants» mémoriels,il nous ramèneau cœurduconflitquiafocalisé durant troisdécennies sontravailuniversi-taire d’élucidation. Le livre estconstruitcommeune dramaturgiecentréeautourde l’allocu-tiontélévisée du16 septembre 1959.B.Stora, àlasuite de l’oubliéFerhat Abbas,faitdecette date le «tournanthistorique » de laguerre d’Algérie, mêmesi lesévènementsdramatiquesde lafin duconflitl’ontoccultée. Avantce discours,leconflitalgérien estdansl’impasse politique:l’État françaislutteavectoutesapuissance pourgarder« l’Algérie française », contre des«rebelles»toutaussirésolus,que quatreannéesde guerre ont dotésd’une puissante infrastructure politico-militaire.Àpartirdu16 sep-tembre 1959,lapromesse faite d’uneautodétermination dupeuplealgé-rien entraîne leconflit vers unerésolution inexorable (maisnon moins douloureuse).Autrementdit,lesaccordsd’Évian etleréférendumsur l’indépendancesonten germe danscette fameuse journée,quoi qu’on en aitdit,ouqu’onait vouluocculter. Le 16 septembre 1959,le planChalle de destruction desmaquisde l’inté-rieurde l’Armée de libération nationale (ALN) parl’armée françaisebat son plein.Il envade même pourle plan deConstantine d’industrialisation etde francisation des12départementsd’Algérie.Une guerreàoutrance et par touslesmoyens.Pourtant, ce jour-là,lapolitique prendsubreptice-mentl’ascendant surle militaire.Elle devient« laguerre pard’autres moyens»,pourpasticherClausewitz,etc’est untournant sans retour. Reste pourl’historienà comprendre lagenèse intellectuelle etpolitique de ce discours-programme,puislamanière dontil futperçuparlesacteurs, prémissesàl’emballementd’histoiresparallèlesjusqu’àl’été 1962:divi-sion ducamp françaisetfuite enavantdes ultrasde l’Algérie française, versusrapprochemententre l’Étatfrançaiset sesadversairesduFrontde libération nationale (FLN). Danslathéâtralisation decette journée,l’auteuremprunte lavoietracée parGeorgesDubydansLeDimanche deBouvines(1973),pratique peucou-rante en histoire dumondecontemporain.Cette optiquesupposeunsouci de précision extrême dansladescription deslieuxde l’intrigue,dudéroulé chronologique,etdespersonnages.Sicette manière d’écrire l’histoire peut dérouter,elle estpourtantfacilitée,en histoire duXXesiècle,parlamasse des témoignagesetlaprécision des récitsd’acteursdontcertains sont encore envie.Cette mise enscène,qui peutapparaîtrecommeuneconces-sion éditorialeàl’airdu temps,estaussiune mise ensituation qui fait
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politiqueétrangèrel1:2010
éclaterlesfrontièresentretypesd’histoire etderécithistorique.Orhistoire culturelle,histoire politique ethistoire militaire nesontpasdeshistoires parallèles.Toutes sontintriquéesles unesdanslesautres.Maisàl’heure où laspécialisationsegmente les savoirs, cette mise en motsde la complexité du réelatout son intérêt. Le 16 septembre 1959,quand deGaulle prononcesonallocution,la France franchit uncap dansladiffusion des technologiesmédiatiquesetleur usage politique.Il faitchaud dans toutle pays,encette fin d’étécanicu-laire,etles vacances scolairesnesontpas terminées.Lesjeunesmilitaires ducontingentécoutentle discoursdanslescasemates,en mêmetempsque leGouvernementprovisoire de la Républiquealgérienne (GPRA)à Tunis, danslavilladeson présidentF.Abbas.LesAlgéroisfontde même dansles cafésdeBelcourtoude la Kasbah, ainsi que lesofficiersde l’état-majorau siège duQG à Alger,etlesParisiens rentrésdu travail.L’auteur souligne letournantmodernisateurde 1959,quitteàforcerletrait,superposantles émergencesde l’automobile pour tous,durock n’roll,de la banlieue des citésHLM,etd’un nouvelâge politique. L’architecture dulivre,divisé enseptchapitres,estdonc centréeautourdu 16 septembre 1959.Lapremière partie estconsacréeà cette dateclé,jourde l’enregistrementdudiscours,etdesadiffusionradiotélévisée,enFrance et enAlgérie.Le discours,parmi d’autresdocuments,figure de manière pré-cieuse enannexe, auxcôtésd’utilesbiographiesdesacteursfrançaiset algériens,etd’unechronologie duconflit.Par unsavant retourenarrière, troischapitresprésententlesélémentsdecontexte (notammentcette fameuseannée 1959) etlagenèse dudiscours.D’aprèsl’historien,la com-pilation desconfidencesetdes témoignageslaisse peude doutesurla maturation de lapensée dugénéralaucoursde l’année 1958-1959. Toutindique en effetqu’en dépitdeson extrême prudencetactique,imposée parle dangerobjectif de lasituation (500 000 soldatsarmésen opérationau cœurde la République),deGaulleseconvainc assez rapidementque l’Algérie estinassimilableàla France,saufà changer sanature, ce qu’il ne désire pas.Aupassage,l’ouvrageconstitueunecontributionbien involon-taire,maisnéanmoinseffective, audébatencours surl’identité nationale...: oùl’onvoitlapermanence,un demi-siècle plus tard,decertainsdébatsetde réactionsfaceàlanation, àla République, àl’islam etauxmusulmans. Les troisdernierschapitres sontconsacrésaux réactions suscitéesparle dis-cours,danslecamp françaisetdanslecampalgérien,puisàson impact sur lecoursdeschoses,réorienté parcetacte fondateurde l’autodétermination algérienne.Maispendantqu’un mondecolonialse meurtà Alger,uneautre Algéries’édifieà TunisautourduGPRA, ainsi qu’une nouvelleFrance en métropole,gonflée par une puissante poussée desève démographique.