Le milieu carcéral un laboratoire pour la pédagogie

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APPLICATIONS PÉDAGOGIQUES 37 A c c é d e r à la m a îtrise d u la n g a g e Le milieu carcéral un laboratoire pour la pédagogie Dans les prisons, où l'illettrisme est particulièrement présent, les enseignants ont développé des outils et des pratiques de remédiation susceptibles d'inspirer tous ceux qui ont affaire à des publics en difficulté. Jean-Pierre Laurent CONSEILLER PÉDAGOGIQUE À LA DIRECTION DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE L 'illettrisme est un des phénomènes massifsd'exclusion dans notre société ; il est encoreaggravé par les conditions de vie en prison. C'est un obstacle essentiel à la réinsertion sociale et professionnelle de ceux qui en sont victimes. Il importe donc de travailler activement avec les détenus illettrés en identifiant cette population à haut risque, et en lui proposant une pédagogie adaptée. Les réponses pédagogiques apportées aux publics en difficulté Les personnes illettrées ne maîtrisent pas les savoirs de base (se repérer dans le temps et dans l'espace, communiquer à l'oral et à l'écrit, mener des raisonnements logiques et mathématiques élémentaires). La vie carcérale limitant l'exer- cice de ces savoirs, les déficits antérieurs dans ce domaine s'en trouvent de fait aggravés. Les han- dicaps engendrés par l'illettrisme ont des réper- cussions immédiates sur la vie en détention : com- portement prostré ou, au contraire, hyper-agressivité, manque de repères spatiaux et temporels, manque de la maîtrise de l'écrit indispensable pour toute communication avec le monde extérieur mais aussi pour solliciter des audiences, etc. En

  • tradition de recherche pédagogique

  • objectifs généraux du programme de lutte contre l'illet- trisme

  • applications pédagogiques

  • formation base

  • détenu

  • milieu pénitentiaire

  • conseiller pédagogique à la direction de l'administration pénitentiaire


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APPLICATIONS PÉDAGOGIQUES
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Le milieu carcéral
un laboratoire pour la pédagogie
Dans les prisons, où l’illettrisme
est particulièrement présent, les
enseignants ont développé des
outils et des pratiques de
remédiation susceptibles
d’inspirer tous ceux qui ont
affaire à des publics en difficulté.
Jean-Pierre Laurent
CONSEILLER PÉDAGOGIQUE À LA DIRECTION DE
L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE
L
’illettrisme est un des phénomènes massifs
d'exclusion dans notre société ; il est encore
aggravé par les conditions de vie en prison.
C'est un obstacle essentiel à la réinsertion sociale
et professionnelle de ceux qui en sont victimes.
Il importe donc de travailler activement avec les
détenus illettrés en identifiant cette population à
haut risque, et en lui proposant une pédagogie
adaptée.
Les réponses pédagogiques apportées
aux publics en difficulté
Les personnes illettrées ne maîtrisent pas les
savoirs de base (se repérer dans le temps et dans
l'espace, communiquer à l'oral et à l'écrit, mener
des raisonnements logiques et mathématiques
élémentaires). La vie carcérale limitant l'exer-
cice de ces savoirs, les déficits antérieurs dans ce
domaine s'en trouvent de fait aggravés. Les han-
dicaps engendrés par l'illettrisme ont des réper-
cussions immédiates sur la vie en détention : com-
portement
prostré
ou,
au
contraire,
hyper-agressivité, manque de repères spatiaux
et temporels, manque de la maîtrise de l'écrit
indispensable pour toute communication avec le
monde extérieur mais aussi pour solliciter des
audiences, etc.
En conséquence, faute d'une intervention des
différents acteurs de la réinsertion pour inciter les
plus démunis à des activités de formation de base,
« … il faut les convaincre qu'elles ont tout intérêt à venir en classe
et leur montrer qu'elles sont encore capables d'apprendre,
ce dont elles sont rarement persuadées. »
ces détenus risquent de sortir de prison plus
dégradés psychologiquement et intellectuelle-
ment qu'ils n'y sont entrés.
C'est pourquoi la rencontre systématique avec
tous les détenus sans diplôme est indispensable
pour provoquer une demande de formation mal-
gré leur passé d'échec scolaire important.
Avec ces personnes-là, le défi pédagogique est
maximum : il faut d'abord les convaincre à l'ac-
cueil et lors du repérage qu'elles ont tout intérêt
à venir en classe ; il s'agit ensuite de leur montrer
très rapidement qu'elles sont encore capables
d'apprendre, ce dont elles sont rarement per-
suadées. Enfin, il faut mener à bien des appren-
tissages tardifs, mettre en oeuvre des techniques
de remédiation, et essayer d'attaquer de front
des secteurs dans lesquels les personnes sont
encore en très grande difficulté… en disposant
d'un temps extrêmement restreint.
Pour relever le défi des plus en difficulté, assu-
rer les formations de base, il faut des enseignants
spécialisés, ayant un CAPSAIS F ou de l'expé-
rience en formation d'adultes.
Les principaux outils pédagogiques
utilisés
En plus de leur spécialisation, ces enseignants
se voient proposer en milieu pénitentiaire des
formations régulières sur différents outils qui ont
été expérimentés : outil vidéo
En 1 mot
; fichier
Objectif LIRE,
Hachette ; fichier lecture
LET-
TRIS
, Nathan ; modules d'activation des compé-
tences en mathématiques (CNEFEI) ; mallette
de jeux pédagogiques,
Sources
, de Montpellier,
dispositif informatique TELID REACT (réseau
d'accès à la connaissance pour tous).
L'expérimentation de ces outils s'inscrit dans
une tradition de recherche pédagogique propre à
l'enseignement en prison. Les pédagogues doi-
vent provoquer et assurer des apprentissages tar-
difs, avec des détenus marqués par un passé
d'échec scolaire lourd, dans des groupes très
hétérogènes et dans des conditions peu propices
à la formation (manque de disponibilité mentale,
durée de détention variable et souvent très
courte…).
De nombreux outils informatiques ont été uti-
lisés dans ce contexte pour motiver les adultes et
permettre également des démarches plus indivi-
dualisées, en particulier :
– le programme LUCIL (lutte contre l'illet-
trisme), produit par Vendôme Formation ;
– les outils de l'Association française pour la
lecture, ELMO et ELMO O ;
– le dispositif « Langagiciels-Nuagiciels »
(conçu par le CNEFEI de Suresnes).
Les personnes qui n'ont pu réaliser les appren-
tissages fondamentaux pendant leur trajet initial
présentent généralement une forte rigidité et
manquent de nombreux outils intellectuels essen-
tiels (concepts et opérations mentales).
Les démarches de remédiation cognitive, éga-
lement expérimentées, visent davantage l'ap-
propriation des mécanismes intellectuels fonda-
mentaux que l'acquisition de « contenus de
savoir ». Les objectifs sont aussi bien la prise de
conscience par les apprenants de leurs difficultés,
la correction des fonctionnements déficitaires
que la reprise de confiance en soi. Ces démarches
comprennent :
– les ateliers de raisonnement logique conçus
par le CAFOC de Nancy ;
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APPLICATIONS PÉDAGOGIQUES
Accéder à la maîtrise du langage
Un programme de lutte
contre l’illettrisme
Un rapport de la Direction de l'administration pénitentiaire mené entre 1988 et 1990 a
montré l'importance du phénomène de l'illettrisme en prison (sur 847 détenus affectés
à des activités, 15,6 % étaient déclarés illettrés). Les conclusions de ce rapport ont per-
mis de définir, à partir de 1992, les objectifs généraux du programme de lutte contre l'illet-
trisme.
Le repérage des personnes en situation d'illettrisme
Dans le cadre de ce programme a été envisagée l’application en maisons d'arrêt d'un
repérage systématique des illettrés analogue à celui pratiqué dans les centres de conscrip-
tion de l'armée.
Un bilan-lecture est proposé par les formateurs aux francophones n'ayant aucun diplô-
me ou seulement un certificat d'études primaires ou un certificat de formation généra-
le.
Au cours de la dernière année scolaire, le repérage des personnes illettrées s'est opéré
auprès de 35071 détenus. Il montre que cette population est globalement en très gran-
de difficulté.
Du point de vue des compétences en lecture, 17 % sont en situation d'illettrisme grave
ou avéré au regard du bilan-lecture; 14 % échouent au test du fait de difficultés moindres
et 3,6 % des personnes sont non francophones.
D'une approche statique du repérage à la dynamique du suivi
Partant d'un outil diagnostic conçu par Jean-Marie Besse (DMA: diagnostic des moda-
lités d'appropriation de l'écrit), nous avons tenté en 1999 de vérifier si les résultats du
repérage par le bilan-lecture étaient ou non confirmés par un diagnostic plus approfon-
di.
Ce travail, comprenant des pré-tests et des post-tests (selon une logique d'évaluation
dynamique), a permis:
– de valider l'actuel repérage par le bilan-lecture;
– de vérifier que tous les publics qui ont bénéficié d'une formation aux apprentissages
tardifs ont effectivement réalisé des acquisitions.
Le livret d'attestation des parcours de formation et ses enjeux
L'idée du livret est d’attester des compétences lorsque les personnes sont restées trop
peu de temps en formation pour être validées ou lorsqu’elles sont d'un trop bas niveau
vis-à-vis des référentiels classiques de formation. Il constitue un outil de suivi, en parti-
culier lorsque le détenu passe d'une prison à une autre, de telle sorte que les enseignants
soient informés convenablement des acquis, des méthodes employées, etc.
L'enseignement en milieu
pénitentiaire
Une unité pédagogique de l'Éducation nationale est implantée dans chacune des neuf
régions pénitentiaires. Elle réunit les diverses ressources de formation initiale fournies
par l'Éducation nationale pour les différents niveaux d'enseignement aux personnes déte-
nues.
Quelques données chiffrées
En 2001-2002, sur 26573 adultes scolarisés, 15161 étaient en formation de base (de l'al-
phabétisation à la préparation au CFG), 10802 en formation de niveau secondaire ou pré-
paration au baccalauréat et au DAEU et 610 à un niveau universitaire.
3407 détenus adultes ont été candidats à un examen scolaire ou universitaire. 72 % (2474)
ont été reçus: 1585 au CFG (certificat de formation générale); 108 à des unités capitali-
sables du CAP; 278 à un CAP ou un BEP; 250 au diplôme national du brevet; 52 au bac-
calauréat; 97 au DAEU; 104 à un diplôme de l'enseignement supérieur.
Les actions d'enseignement ont concerné 2968 mineurs détenus, dont 2044 en forma-
tion de base et 924 en formations secondaires. Sur les 336 jeunes présentés aux exa-
mens en 2002, 191 ont réussi le CFG, 34 le diplôme national du brevet, 5 un CAP com-
plet, 4 le baccalauréat.
En 2001-2002, 3488 détenus ont suivi des cours par correspondance (CNED, CNAM, etc.).
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– le langage informatique LOGO, conçu par
S. Pappert, dont l'application aux prisons de Lyon
en 1985 a fait l'objet d'une évaluation de l'uni-
versité de Lyon-II ;
– le programme d'enrichissement instrumental
pour lequel une cinquantaine d'enseignants ont
été formés depuis 1991.
La mutualisation des pratiques
Notons que, dans la majorité des cas, les ensei-
gnants en prison sont professionnellement iso-
lés : il est rare qu'ils soient nombreux à être affec-
tés sur un même site pénitentiaire. L'alimentation
régulière de la réflexion pédagogique se ressent
de ce phénomène.
Après avoir évalué les risques de l'isolat insti-
tutionnel et pédagogique, nous avons cherché à
développer l'échange et la mutualisation des pra-
tiques. Un bulletin de l'enseignement en milieu
carcéral (six numéros parus à ce jour) a été publié
et un colloque tenu, en décembre 2001, où sont
intervenus les enseignants eux-mêmes.
De même, un certain nombre d'outils de base
sont mis à la disposition des enseignants, et nous
produirons cette année par exemple la quatrième
version d'un CD-Rom intitulé
EFORE
(pour Éva-
luer, FOrmer, REmédier), permettant à chacun
d'avoir à disposition les textes fondamentaux, les
bulletins, les actes du colloque et un certain
nombre d'outils pédagogiques dont la pertinence
et l'efficacité ont été évaluées.
Des résultats encourageants
En prison, l'action pédagogique est souvent
réduite à quelques heures par semaine : sur l'en-
semble des détenus scolarisés, un tiers environ
suit moins de 6 heures de cours par semaine, un
tiers entre 6 et 12 heures et le dernier tiers plus
de 12 heures.
De nombreux détenus illettrés sont indigents,
ou à la limite de l'indigence, de telle sorte que leur
première préoccupation est d'obtenir une rému-
nération, ne serait-ce que pour vivre en prison.
Aussi la demande de formation est souvent aban-
donnée au profit d'un emploi pénitentiaire.
Les actions sont souvent discontinues du fait
des transfèrements vers d'autres sites ou de la
concurrence d'autres activités. L'enseignement
n'est qu'une pièce dans une prise en charge glo-
bale de la personne détenue. Le maintien ou la
restauration des liens familiaux, le travail, les
liens par exemple avec l'ANPE pour préparer la
sortie, les moyens de subsistance et les rémuné-
rations, l'hébergement… sont autant de ques-
tions vitales pour le détenu.
Or, malgré ce contexte défavorable, l'ensei-
gnement trouve en prison un impact certain
puisque 20 % de la population pénale participe
chaque semaine à des cours sans rémunération et
les réussites aux différents diplômes attestent
chaque année que l'on peut faire dans ces condi-
tions peu favorables des parcours de formation
remarquables. Une personne scolarisée sur dix
parvient à un diplôme. Pour les autres, un livret
d'attestation du parcours de formation générale
à l'en-tête de l'Éducation nationale reconnaît
leurs acquis : plus de 10 000 livrets ont été tenus
en 2002.
En ce sens, l'action pédagogique menée en
milieu pénitentiaire constitue un « laboratoire de
la pédagogie » car elle nous permet de vérifier
simultanément l'impact d'une politique institu-
tionnelle incitative, la place centrale de la moti-
vation dans les processus d'apprentissage et l'im-
portance de la recherche sur les outils
pédagogiques comme de la formation des forma-
teurs puisque de toute évidence les différentes
approches pédagogiques ne se valent pas quand
on a peu de temps pour convaincre qu'à tout âge
on peut encore apprendre.
« Malgré le contexte défavorable, l'enseignement
trouve en prison un impact certain. »
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