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UNIVERSITE DE LILLE III
LES RELATIONS DE POUVOIR DANS
L'OEUVRE DE LA FONTAINE
* ■*
THESE DE DOCTORAT
NOUVEAU REGIME
PRESENTEE PAR: YVES LE PESTIPON
SOUS LA DIRECTION DE: M. LE PROFESSEUR PIERRE M AL AND AIN
Nov.93
6TROISIEME PARTIEi UNE LOGIQUE D ORONTE?
INTRODUCTION
Fouquet apparut à La Fontaine comme un dominant dont il était
possible de se faire un ami. A lire les textes publies dans les Oeuvres
1diverses 'sous le titre Les Merveilles de Vaux, on voit qu il entretint
avec lui une relation détendue, joueuse, plaisante, qui ne cessa
1pourtant jamais d être une relation de pouvoir. Il sut toujours se
souvenir que le Surintendant n'était pas son égal, qu'il était-, même
2548en prison, un "Monseigneur ", et ce dernier sut apparemment aussi
le lui rappeler plusieurs fois, ne fût-ce qu'en le faisant longuement
2549attendre dans son antichambre . . . Malgré ces déplaisirs
momentanés, La Fontaine découvrit avec le maître de Vaux la
1 1possibilité de s associer avec quelqu'un qui n était pas son égal sans
2550 1pour autant subir le destin d'un des Pots de la fable. S il y a
2551souvent de "mortelles angoisses " à séj ourner chez les Grands, le
futur fabuliste vivait apparemment avec son protecteur dans la
2552transparence sereine d'une "prison volontaire " et, même, il
prenait plaisir à le fréquenter»
!A sa demande, et pour 1 obliger, il entreprit de composer Le Songe
1 1de Vaux et d élaborer ainsi le personnage d Oronte qui est la
1représentation idéale d un Fouquet délivré de ses scories. Oronte
est un modèle quand Fouquet, individu historique, est un
homme qui ne parvint pas toujours à "modérer ses
2548. A M. Fouquet, O.P., p. 532.
2549. Voir A M. le Surintendant, O.P., p. 502-505.
2550. Voir Le Pot de terre et le Pot de fer, (V,2) vers 29-31. f
255 u L'Aigle et la Pie, (XII, 11), vers 26.
2552. Le Songe de Vaux, O.P., p. 97.
2553désirs ". Cet homme, cependant, fut, aux yeux de La Fontaine, aussi
Oronte que possible...
fLes événements de 1661 provoquèrent 1 abandon de Le Songe de
fVaux, mais la figure d Oronte ne disparut pas de la vie, de la pensée,
11 11 5et même de l'oeuvre du Papillon du Parnasse comme nous 1 avons
montre en étudiant la publication de trois fragments dans les Fables
nouvelles. Oronte demeura une référence souvent presque invisible,
1 1mais constante et dont 1 importance pour 1 oeuvre dépasse largement
sles multiples allusions à 1 affaire Fouquet telles que les relève
s fJasinski» 11 est 1 exemple parfait d un dominant qui refuserait de
suivre ce que nous avons appelé la logique de la Fourmi,
Quelques exemples : Charles II d'Angleterre au Livre VII,
Jupiter en bien des textes, le Père de la Jeune Veuve et de multiples
pères comme le Vieillard dans Psyché «.* Louis XIV même, dans ce roman,
?prend avantageusement la succession d Oronte* Par leurs statuts,
- 3 -
5leurs rangs, leurs domaines d action, certains de leurs projets, ces
personnages sont fort différents, mais ils forment groupe dans la
?fmesure où ils ne tendent jamais à nier leurs dominés * Nul danser
maintenant" ne sort de leur bouche» Le père de la Jeune Veuve aide
1ainsi sa fille à retrouver, quand il est temps et après l avoir
2554protégée contre ses funestes intentions, les plaisirs de "la danse "
» » *
Ce père, Jupiter, Charles II, ou même Louis XIV dans Psyché ne
5se réduisent pas à des réincarnations d Oronte * Prenons Charles II
5: loin d être un souverain baroque qui multiplierait les
2555 11 3"merveilles , il s inscrit dans le mouvement scientifique et
paraît préfigurer les despotes éclairés. Oronte ignorait cela.
Différence donc et enrichissements de la logique « Ces dominants,
cependant, ne la contredisent en rien. De plus, Oronte est le plus
1ancien dans 1 oeuvre et Le Songe de Vaux propose de sa logique une
image élaborée. Ajoutons encore que la publication de trois fragments
en 1671, outre la fidélité pour un ami, montre la volonté de proposer
2553. Elégie pour M. F., O.P., p, 529.
2554. La Jeune Veuve, (VI,21), vers 41.
2555. Le Songe de Vaux, O.P., p. 96.
1 f1 image d un dominant parfait, peut-être utopique, mais suscitant
le songe et permettant, comme modèle, de juger les dominants réels
« Toutes ces raisons nous conduisent à considérer Oronte comme la
1figure, en quelque sorte, matricielle, d une logique de pouvoir que
tout oppose à la logique de la Fourmi.
On se souvient que nous avons longuement dégagé le principe et
les deux caractères de cette logique. Principe : la recherche par le
dominant de son plaisir exclusif. Caractères : sa volonté de tout
mettre "en même catégorie", et' ses efforts pour profiter au mieux
de la "légère croyance". Un simple parcours des trois fragments
1publiés de Le Songe de Vaux montre que le pouvoir d Oronte ignore ce
principe et ces caractères»
Loin de vouloir son plaisir exclusif, Oronte propose ou
autorise, pour' ceux qui sont dans son domaine, des "occasions de
2556plaisir ". Loin de confondre les créatures, il cherche à distinguer
1entre 1 Architecture, la Peinture, le Jardinage et la Poésie» Enfin,
§loin d utiliser les illusions possibles de ses dominés, il les laisse
délibérer, former leur jugement, et il ne tente pas, comme le
2557 1Cormoran , d attirer par quelque artifice les poissons dans son
!vivier. Quant aux spectacles qu il propose, ils ne visent pas à
tromper, ou à écraser, mais à plaire « Comme celui' des Fables ou de
11 2558la poésie, son pouvoir est un charme " qui captive et rend
délicieusement attentif. Ainsi, peut-on formuler le principe et les
fdeux caractères de la logique d Oronte, Principe : favoriser les
5plaisirs des dominés. Caractère : distinguer la diversité pour 1
2556. Le Songe de Vaux, O.P., p. 96,
- 4 - 2557. Les Poissons et le Cormoran, (X,3).
2558. Voir dans Le Songe de Vaux la prophétie gravée dans l'écrin (O.P., p. 80) et voir A Mme de Montespan, vers 7-8:
C'est proprement un charme : il rend Marne attentive, Ou plutôt
il la tient captive.
enrichir encore, chercher à éloigner les dominés de la "légère
croyance".
Commençant par Les Animaux malades de la Peste et finissant par
Un animal dans la lune, le livre ¥11 donne clairement â lire
5l'opposition entre les deux logiques. Quand le Lion ne songe qu à
11son propre plaisir, met tout en même catégorie", et utilise la
8"légère croyance", Charles II favorise la jouissance d autrui, sait
distinguer, et combat les illusions* Le Lion, en effet, qui veut
rétablir son pouvoir et en retrouver tous les avantages, ne tente pas
de savoir vraiment qui a provoqué la fureur du Ciel. Il ne mène pas
1 3d enquête» Il ne va surtout pas, comme Oedipe, jusqu à se demander
1 2559 f 5s il est responsable de ces "crimes ". Ce Lion, c est 1
5anti-Oedipe. Il choisit de lancer au public 1 hypothèse de sa
? 5culpabilité pour que chacun, effrayé, la rejette. Ce qu il veut, c
2560est reconstituer le "on " contre un individu quelconque et retrouver
ainsi son pouvoir de Lion. Pour mystifier et terrifier ses sujets,
11 1 2561il use de la religion et de 1 histoire ". Pas question pour lui
9de combattre la rhétorique du Loup qui invoque contre 1 Ane une
prétendue malédictions II fait plutôt ce que dénonce Lucrèce au
premier livre du De Matura rerum i il utilise la croyance des autres
pour fonder son pouvoir. Ainsi, loin de s'organiser selon le mouvement
1ascendant qui caractérise 1 êpicurisme, toute la fable suit-elle un
mouvement descendant et écrasant du Ciel au Lion, du Lion aux
!Puissances, des Puissances à L Ane « Un animai dans la lune est au
contraire fable ascendante» Charles II, monarque pédagogue, physicien
?et critique, dirige son regard vers un ciel qui n est pas
2562métaphysique* Il braque vers lui une "lunette ", et "favorise en roi
2563ces hautes connaissances " » Principe : ce remarquable dominant
2564gouverne un "peuple heureux auquel il fait plaisir.
Il