Une femme nommée Miriâm
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Une femme nommée Miriâm

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Description

Un poème évangélique de Michel Bellin (avec des illustrations tirées de "L'Evangile selon St Matthieu" de P.-P. Pasolini). Ce texte est tout sauf une pieuse cantilène. Pour l'ancien prêtre mécréant, c'est un fervent retour aux sources — retour en grâce ? — : quand l'impériale Notre-Dame de Lourdes de son enfance cède enfin la place à une femme, une vraie, petite Palestinienne vaillante et croyante… « Laissez-moi ce soir tutoyer votre tendresse / Regrimper en enfance / Et simplement / Comme le faisait Iohanânˋ / Permets, Marie, que je t’appelle Miriâm. »

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Publié le 20 juin 2020
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Langue Français

Extrait

M i c h e l B e l l i n
U N E F E M M E N O M M É E M I R I Â M
P o è m e é v a n g é l i q u e
YO U S C R I B E
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U N E F E M M E N O M M É E M I R I Â M Poème évangélique deMichel Bellin Images deP.-P. Pasolini (L’Evangile selon St Matthieu)
Autres illustrations tirées de l’iconographie catholique
Au crépuscule Dans l’église Déserte et froide Je me suis figé Devant votre effigie Muette et tout aussi glacée Sans apporter comme jadis Mes bouquets fastueux. Vous vous les rappelez, n’est-ce pas ? C’est mal, je sais. Vous êtes toujours ma mère. Je suis un piètre fils. Mais je suis triste, désamouré, surtout déçu Car je n’attends plus rien de notre face-à-face. Bien moins que contre moi, Mais tout de même, Je suis fâché après vous, Ma Dame éloignée, Glacé par vos beaux yeux éteints Votre maintien contraint Vos trop grandes mains Votre raideur de vestale Pétrifiée dans le stuc. C’est dit, bien malgré vous, Vous me faites du mal.
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J’ai raconté dans un de mes livres impies Dont je ne me vante plus Mais qui me fit du bien, Oui, j’ai avoué comme vous me faisiez peur alors, En tout cas pas envie, Vous, le Spectre de Lourdes, Avec son attirail informe et solennel Son inélégant uniforme Odieusement unisexe Sans chaleur et sans cœur Qu’on vous oblige à porter Nuit et jour Sous toutes les latitudes Dans tous les chœurs Du prêt-à-prier : Le voile de plâtre gris La sous-ventrière azur La lourde et démesurée mitrailleuse Aux soixante munitions Et sous vos pieds de flic Le pauvre petit serpent Qui ne parvient jamais à relever la tête, Lui l’écrasé,
Vous, l’auguste écraseuse, Raide, muette, impitoyable Ô ma Souveraine ô ma Mère Comme psalmodiait alors Sous l’œil de nos maîtres enjuponnés.
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Le troupeau prosterné Dont j’étais le plus fervent, le plus chantant, le plus docile, Le plus servile, Le plus odieux Car je faisais mine De vous chérir De vouloir vous servir De me soumettre à votre divin Fils, Non parce que je vous aimais Mais parce que j’avais si peur Dans le dortoir des larmes Quand la sirène des trains tout proches Me rappelait que pour complaire au Père Nous avions choisi, Ma mère de la terre et moi, Que je deviendrais un orphelin Volontaire.
Ce soir, Dans le froid sanctuaire Où je me suis raidi, J’ai toujours autant de mal À redire votre nom À le balbutier Et même à le penser Dans cette pénombre vide Que n’éclaire toujours pas votre halo de poussière. Où donc est votre sourire ? Ce regard qu’ils disent doux ? Votre diadème d’étoiles ? Et vos jolis petons d’innocente bédouine ? Où a fondu votre ardente jeunesse ? Où s’est dissoute votre féminité ! Où s’est enfui votre amour séculaire ?
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À vous voir dans notre modernité pourtant éclairée, Je ne connais Encore et toujours Que ma terreur de gosse D’interne pieux et studieux Mon dégoût Ma solitude Ma frustration Ma colère corsetée Prête à fondre en larmes Prêtre à déposer les armes. Car encore aujourd’hui, Je tremble dans le noir. Bien sûr, adulte et raisonnable, Je n’ai plus peur de vous ! Non, non, plus jamais ! Mais, quand j’ose me l’avouer, Comme ce soir dans cette longue prière improvisée, Si vous ne m’impressionnez plus, Ô sainte Mère, Eh bien ! soit, vous me manquez, Je me sens toujours en manque de Vous, Avec la glorieuse et sainte majuscule — de l’autre aussi,  également froide,  qui m’a téléguidé  et jamais embrassé. Mais quand je repense aux deux, Vous, la toute première, À la seconde aussi, Je suis tout prêt À tout pardonner À tout donner, Pauvre moi-m’aime Parce que, comme moi, comme beaucoup d’entre nous, — bien qu’aimée et choisie — Elle non plus, ma mère miniature, N’a pas su vous aimer, comme vous le méritez, Comme y invite votre histoire véridique, Ni roman ni légende ni même chanson de geste ! Non, votre vraie vie Votre vie vraie Qui, mal enseignée, Défigurée, Aseptisée, Asexuée M’a pourtant ému et nourri, Moi, le vieux barbare, L’homme-enfant perdu.
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C’est pourquoi je me calme Je respire un grand coup Je fais un pas timide Vers votre statue honnie Et, sans m’énerver, Sans extrapoler, Je dis : Basta ! Qu’importent après tout mes humeurs Mes états d’âme Ma nostalgie rassie Ma croyance rancie ! Qu’importent ma mémoire qui flanche Mon zèle d’écrivaillon Qui peut-être déforme, désinforme, invente et réinvente ! Que me font aussi à moi Leurs pages dévotes Le fatras des dévotions bigotes Des pèlerinages et des mythologies ? Qu’importent même vos titres de noblesse ! Là n’est pas l’essentiel. Là n’est pas ma survie. C’est le retour aux sources Qui m’importe Qui me porte Et rafraîchit mon cœur. C’est pourquoi, Naïvement, en souriant un brin, Avec un tout petit clin d’œil de connivence, Surtout sans l’insolence D’autrefois, Je vous murmure, confiant :
« Faisons la paix. Laissez, belle étrangère À des années lumière Et pourtant familière, Laissez-moi revenir, M’entretenir avec vous, Longuement, Assidument, Pour la toute première fois, Avec ma toute première foi. Laissez-moi trouver Par respect et par amour pour vous, Laissez-moi discerner Ailleurs et autrement, Instinctivement, Obstinément, Pour réchauffer mon âme
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S’il en est encore temps, Laissez-moi Vous pister dans les quatre Evangiles, Vous redire sans fard ni terreur Ni sournoise hypocrisie Ma foi nue Toute nue et menue Et aussi ma prière Sans chapelet ni rosaire Ni même dizenier, Sans insultes ni ricanements, C’est promis ! Oui, tout nu devant Vous Ou plutôt, non ! pas devant Ni surtout à vos pieds, Mais dans vos bras Au chaud, serré, câliné Comme le bébé Qui vient de naître ! Ultime supplique Je sais, j’exagère ! Laissez-moi ce soir tutoyer votre tendresse, Regrimper en enfance, Et simplement, Comme le faisait Iohanânˋ, Permets, Marie, que je t’appelle Miriâm.»
Car je te sais, belle Miriâm, Je te sais, avant tout, fille d’Israël, Certes il y a bien longtemps, Avec l’insouciance allègre de tes quinze ans. Enracinée dans ton quotidien heureux ou difficile. Tu as connu d’abord la joie d’être serrée très fort Sur le cœur d’une mère. Ah ! le baiser d’Anne au moment du coucher, si profond, si léger ! Et j’entends encore vos éclats de rire Quand Joachim savait prendre le temps De jouer avec toi,
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Te faisant tressauter sur ses genoux nerveux ! Parfois le bruit sec d’une tape sur ta joue Lorsque tu ne cessais pas d’agacer ton petit frère, De chaparder un beignet tout chaud Ou bien quand tu faisais ta mauvaise tête. Si rarement ! Plutôt place à la joie ! Toute cette joie de vivre Débordante autour de la fontaine Où tu venais souvent avec ta cruche trop pleine, Où tu retrouvais en pouffant les filles de ton âge, Où vous goûtiez ces soirées de fraîcheur parfumée Sous le dais constellé de votre Galilée Quand les cigales butées se taisent enfin Et que le silence se faufile sous les oliviers du jardin Avec tout près de toi, Une fois désertée la margelle au babil, À tes côtés, Discret et obstiné, Ce beau gars de ton âge Qui joue de la flûte pour toi. Il s’appelait, je crois, Iosseph.
Je te veux, Miriâm, fille étonnée et inquiète Quand ton fiancé voulut savoir, Voulut comprendre, Tout, de A jusqu’à Z ! Oh ! cette déception dans les yeux de Iosseph, Sa colère rentrée qui ravagea ton cœur. Que pouvais-tu dire, petite, qu’il pût comprendre ? Comme si l’on peut imaginer l’inimaginable. Alors, tu gardas le silence, tête baissée, Front buté – comme Joachim te le reprochait, Ayant sur ta joue halée, parfois, tard la nuit, Les larmes brûlantes du découragement Pour ton innocence désarmée, Ta bonne foi indicible, Forcément incomprise, Même de toi, qui pourtant as dit OUI. Seul un Père pouvait rassurer le cœur de Iosseph. Et tu devinas qu’IHVH-Adonaï avait parlé
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Quand ton homme te prit sous son toit Sans exiger ni barguigner. Même pas effaré, ni stressé, seulement admiratif Et tout de suite prévenant, Un peu gauche et taiseux – c’est tout lui ! – : Bref, c’est dit, il t’accueille chez lui Et t’accepte pour épouse. Voilà. C’est fait et très bien fait. Toi, tu ne posas pas de question inutile. Tes yeux seuls ont dit merci. Peut-on discourir sur ces choses-là ! Tu ne lui dis rien mais tu lui donnas tout : Avant le Don suprême Qui mûrissait en toi, Tu lui offrais chaque jour que Dieu fait Ta jeunesse, ta tendresse, ton endurance Ta joie de vivre et ta fidélité, Lui apportant tous les menus plaisirs, Les attentions discrètes Tes secrets culinaires Les tendresses secrètes Les fugaces chamailleries Qui scellent à tout jamais Hier comme aujourd’hui L’alliance conjugale.
Vint le jour de stupeur, Jour de tous les dangers. Je te sais, Miriâm, Plutôt je te devine Jeune femme affolée Lorsque tomba l’ordre impérial. Partir pour Béit Lèhèm !
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Dans ton état ! Avec ces chemins défoncés, Dans la touffeur et la poussière ! Et surtout prévoir tout, au cas où… Tout en si peu de temps Et en abandonnant le moïse d’osier Qu’avait tressé Iosseph ! Les langes, les brassières, les grenouillères, Des choses très chaudes pour la nuit, Bien sûr le plaid en laine Car les nuits de Judée sont fraîches en cette saison, Sans oublier les précieux onguents Le miel et l’huile d’argan Recommandés par ta vieille cousine. Bref, prête ou non, Il fallut décamper. Obtempérer. Qui peut résister à Caesar Augustus ! Te voilà donc pâlotte sur l’âne conduit par Iosseph, Pesante et tressautante. Chaque coup de sabot te déchire le dos. D’une main, tu te cramponnes à la crinière du baudet Ta dextre soutient ton ventre Attentive à la moindre contraction. Ton homme, comme d’habitude ne dit rien, presse le pas. Peut-être prie-t-il tout bas ? Parfois il se retourne, Hoche la tête, Te sourit bravement. Qu’il est inquiet, le pauvre homme ! Et qu’il le cache donc mal. Toi, courageuse Miriâm, souvent d’une voix douce, Se voulant proche et persuasive, Tu tentes de calmer les ardeurs de ton petit hôte Mais lui ne t’écoute pas ! Il n’en fait qu’à sa tête, Se trouve trop à l’étroit, Donc ose les galipettes Testées par son cousin Car tes secousses lui plaisent, Tout ce chambardement, Cet air de grandes vacances, L’avant-goût du campement. Le dialogue est secret, Intense votre communion. — Franchement, future maman, Tout Seigneur que je suis, Puis-je donc être intranquille ? —Fais comme tu veux, baby,
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