Je suis Pompéi
56 pages
Français

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Description

Un autre cas de violence familiale, une violence ordinaire qui se transforme en drame familial, faisant deux victimes marquées pour la vie : une mère et son fils.
Librement inspiré de faits réels, Je suis Pompéi retrace le destin d’Alice, survivante d’une enfance profondément malheureuse. Sa rencontre avec Paul, un homme d’une apparente stabilité, propre et lisse, lui permettra de concrétiser son rêve de devenir mère et d’avoir une famille bien à elle. Mais le grondement d’une violence ordinaire et silencieuse refait surface et l’histoire se répète, faisant écho aux désillusions. Pour les hommes qui n’aiment pas les femmes, les enfants deviennent une arme redoutable et la Justice, leur bras droit. Alice glisse alors dans le cauchemar qui engloutit toutes les mères à qui on arrache ce qu’il y a de plus précieux. Figée dans une peine aussi dure que la pierre, contre toute attente, une main tendue l’aidera à se relever. La douleur d’Alice ne pourra jamais s’éteindre, mais cette voix complice viendra apaiser, en quelque sorte, son tourment intérieur.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9782924847350
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ava Rose Riverin
JE SUIS POMPÉI
Éditions Château d’encre


Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre: Je suis Pompéi/Ava Rose Riverin. Noms: Riverin, Ava Rose, 1979 - auteur. Description: Mention de collection: Walkyries Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 2022001406X | Canadiana (livre numérique) 20220014078 | ISBN 9782924847343 | ISBN 9782924847350 (EPUB) Classification: LCC PS8635.I9439 J4 2022 | CDD jC843/.6 — dc23 Édition: Lison Lescarbeau Révision et correction: Nathalie Savaria Grille intérieure et mise en page: Folio infographie Page couverture: Patricia Gaury et Lison Lescarbeau Photo de l’auteure: collection personnelle Visuel: Adobe Stock - Andrea Izzotti Dépôt légal – 4 e trimestre 2022 © 2022 Les Éditions Château d’encre inc. Les Éditions Château d’encre inc. 407, boulevard Saint-Laurent, bureau 800 Montréal, (Québec) H2Y 2Y5 editionschateaudencre.ca
Pour Marie. Écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit.
Marguerite Duras


Le cratère
L’enfance d’Alice, fille de Monique. Saguenay, 1993
Je m’appelle Alice. Je suis l’accroc dans les mailles qui tissent l’histoire de ma famille. Avec mes yeux bleu gris, on pourrait croire que je porte le ciel en moi. Ce n’est pas le cas. À la loterie des naissances, j’ai hérité d’un manque de chance.

Je le sais.
Bonne à rien. Stupide. On me déteste. Je parle aux chevaux qui trottent dans ma tête. Je crée des drapeaux avec des piles de manteaux. Je colorie l’alphabet et je refuse d’obliger les lettres à former des mots sans contexte. Mon entêtement irrite.
Tous les jours après l’école, délivrée de ce moule à formater, je pique la bicyclette rouge de mon ami Frank. Rouge comme les souliers exposés dans la vitrine du Petit cordonnier, ceux que je n’aurai jamais. Rouge comme mon envie de les voler. J’enfourche la monture rutilante et je dévale à toute allure les rues du village, sans mettre les freins. Qu’importe ce qui m’attend au bas de la pente, je n’arrête jamais, jamais, car si en pleine course je devais stopper, je ne saurais rassembler mon courage éparpillé pour me hisser en selle une autre fois. Je deviendrais ces autres que je méprise si fort, ceux qui ignorent que le goût du risque est doux-amer, faute de l’avoir porté à la bouche.
Le nez au vent, à cheval sur la bécane, je pleure. L’air frais caresse mon visage. Toute cette douceur me brûle, comme l’eau chaude du bain brûle les orteils. Et même si parfois j’aimerais y plonger, je sais que je n’ai pas la couenne assez dure pour m’y habituer. Alors, je roule sans but, jusqu’à ce qu’inévitablement je dérape et que je tombe.
Les genoux écorchés, je redonne à Frank sa bicyclette. Il voit le sang qui lèche mes jambes, mais il ne dit rien, parce qu’il n’est pas idiot. Il imagine, bien mieux que toutes ces grandes personnes qui m’entourent, la vie qui m’attend.
Dehors, le ciel se déchire. Je tremble. Mes parents, dans l’autre pièce, hurlent. Sur un coup de tonnerre, la porte de ma chambre s’ouvre avec fracas et mon enfance fuit à toutes jambes. La vie d’adulte se présente à moi sous la forme d’un canon, d’un morceau de métal froid, glacial, posé sur ma tempe. Le clic du cran de sûreté me fait mourir avant l’heure et je ferme les paupières. Mes rêves s’évanouissent et je ne pourrai jamais les réanimer, faute d’espace pour eux. La terreur a conquis mon territoire intérieur. Il n’y a plus d’espace que pour elle.
Dans mon lit une place, blottie entre les draps souillés, je deviens une autre que moi. J’ai dix ans. J’ai cent ans. À l’aurore, la lumière se pointe et se faufile dans ma chambre par une minuscule fente. Je me défroisse. Je quitte le radeau à bord duquel j’ai fait naufrage. À pas lents, je me dirige vers la cuisine. Autour de moi, tout est pareil qu’hier. C’est laid. C’est petit. Je m’arrête devant le miroir. Je me vois comme pour la première fois. Mes pupilles ont avalé le bleu de mes yeux. Je ne reconnais pas les traits de mon visage. Je touche les contours de ma bouche brodée de haine, pleine de cris silencieux, et je me déteste.
Dans la cuisine, des milliers de morceaux de verre jonchent le sol comme autant d’astres tombés du ciel. Pieds nus, j’avance sur les éclats qui craquent et m’entaillent la peau. Je tente d’atteindre Monique. Ma mère. Elle me tourne le dos et s’accroche à l’évier comme à une bouée. Un fragment d’éternité s’égrène. Je lui tends la main, mais elle ne bronche pas. Elle est morte hier, avant moi. Je ne pourrai jamais la sauver.
Une autre journée semblable à toutes celles qui l’ont précédée. En classe, la maîtresse parle, mais mon cerveau comme un hachoir broie tous ses mots. Seules les idées obscures demeurent intactes. Elles collent au fond de ma tête dure. Du bout des doigts, pour ne pas écraser ce qu’ils pourraient contenir de promesses lumineuses, je compte les années, celles que je devrai traverser avant de parvenir à la majorité. Huit. Il n’y a plus que huit ans à attendre dans le chaos rouge de ma vie.
Quinze heures. La journée tire à sa fin. Tout le monde s’agite autour de moi, chacun rangeant plus ou moins bien ses cahiers et ses crayons, pressé de rentrer à la maison. Je prends mon temps. Je le repousse à deux mains. Je sais que tout ce qui m’attend, c’est un parfum de peur. Un cocktail puissant qui me brûle jusqu’à la moelle, une empreinte qui me suit à jamais.
Sur le chemin du retour, parce qu’il faut bien aller quelque part, je suis poursuivie par des tyrans. Pour leur échapper, je cours. Vite. Blessée par les railleries, plus que par les coups que je sais encaisser, je tente de fuir. Du coin de l’œil, je cherche Frank, qui serait là, avec son bolide, et qui pourrait m’aider à m’évader. Mais il n’est pas là et je continue seule ma chevauchée sans monture.
L’antre, cet endroit que l’on nomme maison, est un minuscule quatre pièces qui surplombe la ville, perché tout là-haut, à l’abri des oreilles indiscrètes. Les cris peuvent transpercer les fenêtres et secouer les murs, sans que jamais personne s’en inquiète.
À chaque instant, tout menace de s’écrouler en moi. Le froid ronge ma peau. Assise sur mon lit, je me fais des films, je m’imagine plus tard, je m’invente femme. Je vis à Montréal, là où ça grouille de monde, là où grand-père dit qu’on n’est jamais tranquille.
Je n’ai même pas de seins. Juste deux petits bourgeons, mais j’ai quelque chose de différent qui excite les hommes. Je le sais parce que j’ai vu le trouble naître sur le visage de mon grand-oncle, l’été dernier, quand je me baladais en maillot. Depuis ce temps-là, je m’amuse à les aguicher, juste en leur passant sous le nez. C’est drôle. Quand ils ramollissent, c’est là que je me sens quelqu’un. J’aime me figurer déambulant dans les rues bondées de la métropole. Et dans mon rêve éveillé, les hommes sont comme hypnotisés, en pâmoison devant moi. Mais aucun n’ose m’approcher. Je suis pour eux un objet sacré. Un souhait inviolable.
Des pneus crissent sur l’asphalte. Une porte claque. Une table se brise contre le sol. Le son de la peur me tire de ma rêverie. Je chute. Je tombe dans un bassin glacé. Les cris hachurés de douleurs sont d’une violence inouïe. En boule sur le plancher de la garde-robe, j’use mes jointures. Je prie pour que les boucliers de guenilles suffisent à me protéger.
Ma mère gueule. Mon père hurle. Je chantonne. Je berce les lambeaux d’enfance qui se cachent au creux de mon ventre. Des objets éclatent contre les murs, la porte claque à nouveau, les pneus se font entendre une dernière fois et le silence s’abat brutalement. Je préfère le vacarme à l’absence de bruit qui, immanquablement, annonce une autre mort. Je sors de ma cachette pour retrouver la maison vaincue. Ma mère répète en boucle que ce n’est rien. Un mensonge répété des millions de fois, assez souvent pour que je finisse par croire que la violence, ce n’est rien, que je ne suis rien.
Quand j’avais cinq ans, j’aimais dessiner. Je le faisais tout le temps, partout. Toutes les couleurs qui m’étaient interdites les jours de la semaine, je les couchais sur une feuille les jours de congé. C’était un monde de papier fragile et ensoleillé, à l’image des espoirs d’enfant.
Aujourd’hui, mes crayons tracent dans le vide les contours de mon existence. Mais les heures, cruelles et lentes, doivent passer, alors je vole l’identité des princesses et des chevaliers qui dansent dans les contes. Je m’habille avec de belles phrases. J’existe le temps d’une histoire. Entre deux chapitres, pour soulager mon cœur à vif, je me taillade les cuisses. La lame qui déchire ma peau et qui s’enfonce dans ma chair me rappelle à l’ordre. Je vis.
La réalité me rattrape par le bras et me secoue violemment. Je prends mes bottes de sept lieues et je me retrouve, toute petite, face à lui, si immense. Une haine sourde crispe les traits de son visage. Je serre les dents. Sous la pluie de coups qui m’inonde, je hisse la tête. Je défie ma peur. De lui, j’exige plus. Je veux qu’il me brise.
Une voix supplie et plus elle implore, plus la correction est sévère. Poupée de son, je me laisse faire. Je pense aux souliers rouges, ceux que je n’aurai jamais. À Frank et à son vélo. Je ne pleure pas. Je garde mes larmes parce qu’il ne les mérite pas. Parce que je veux l’empêcher de quitter cette pièce en roi invaincu.
Protégée par des milliers d’arbres-gardiens, je cours dans les herbes hautes. Libre de l’armure qui m’oblige à me tenir droite comme un homme. Je suis un oiseau. Les ailes déployées, je m’envole.
Un samedi comme les autres, cordés comme des oignons sur la banquette de la Ford 1979, nous sommes en route vers la maison de mes grands-parents. Et comme tous les samedis, les insultes et les cris fusent dans l’habitacle. Nerveuse, je joue avec la fermeture éclair de mon manteau. Le mouvement

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