La mort fait le trottoir , livre ebook

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Michèle Nicolaï (?-1950)



"– Alors, Ruby, tu es décidée ? demanda Liliane.


Déjà le miroir qui était fixé au mur de la loge n’était pas grand, et la turbulence d’une robe de gaze accrochée à un clou diminuait encore sa dimension.


Pour s’y regarder en même temps, les deux girls devaient donc serrer l’un contre l’autre leurs visages, ce qui accusait leur similitude : mêmes cheveux blonds lisses, mêmes cils longs et bleutés qui élargissaient l’azur de leurs prunelles, mêmes bouches pulpeuses identiquement mordues par le rouge du maquillage. Et si la planchette à fards n’avait pas brisé le miroir à la hauteur de la gorge, on eut pu constater que leurs corps étaient également les mêmes sous la robe verte à reflets d’argent largement ouverte sur la peau également dorée.


Une photographie d’agence clouée au dos de la porte par trois punaises consacrait d’ailleurs l’hallucinante ressemblance des deux femmes : les May Sisters, énonçait le titre de l’image. Si la photographie avait été placée au dos de la porte, c’est que c’était le seul endroit encore libre que put offrir l’étroite loge qui cachait la couleur fanée de ses parois sous les souvenirs de ses innombrables occupants précédents, du clown à la danseuse nue, sans omettre le gymnasiarque aux muscles souples, le chanteur de charme dont le sourire atteste la valeur de son dentifrice et les plus nombreuses femmes empanachées hautement et décolletées bassement. Il y avait même des coupures de journaux jaunies et quelques accessoires hors d’usage abandonnés là on ne savait pourquoi. "



A Montmartre, Ruby et Liliane, deux jeunes danseuses, remportent un certain succès avec leur duo les "May Sisters". Après une dispute due à la jalousie, les Sisters sont en froid ; Ruby est trouvée assassinée. Tonio, le mari de Liliane, est très vite arrêté. Mais... car il y a toujours un mais...

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0

EAN13

9782374639741

Langue

Français

La mort fait le trottoir


Michèle Nicolaï


Octobre 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-3763-974-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 972
I
 
– Alors, Ruby, tu es décidée ? demanda Liliane.
Déjà le miroir qui était fixé au mur de la loge n’était pas grand, et la turbulence d’une robe de gaze accrochée à un clou diminuait encore sa dimension.
Pour s’y regarder en même temps, les deux girls devaient donc serrer l’un contre l’autre leurs visages, ce qui accusait leur similitude : mêmes cheveux blonds lisses, mêmes cils longs et bleutés qui élargissaient l’azur de leurs prunelles, mêmes bouches pulpeuses identiquement mordues par le rouge du maquillage. Et si la planchette à fards n’avait pas brisé le miroir à la hauteur de la gorge, on eut pu constater que leurs corps étaient également les mêmes sous la robe verte à reflets d’argent largement ouverte sur la peau également dorée.
Une photographie d’agence clouée au dos de la porte par trois punaises consacrait d’ailleurs l’hallucinante ressemblance des deux femmes : les May Sisters, énonçait le titre de l’image. Si la photographie avait été placée au dos de la porte, c’est que c’était le seul endroit encore libre que put offrir l’étroite loge qui cachait la couleur fanée de ses parois sous les souvenirs de ses innombrables occupants précédents, du clown à la danseuse nue, sans omettre le gymnasiarque aux muscles souples, le chanteur de charme dont le sourire atteste la valeur de son dentifrice et les plus nombreuses femmes empanachées hautement et décolletées bassement. Il y avait même des coupures de journaux jaunies et quelques accessoires hors d’usage abandonnés là on ne savait pourquoi.
L’ampoule électrique sans abat-jour soulignait durement les sourires et les œillades de toutes ces figures et ressuscitait de vieux éclats dans les paillettes des costumes. Une malle d’osier servait de siège pour celle des Sisters qui n’avait pas pris place sur l’unique chaise au cannage éreinté.
Le regard de Ruby rencontra celui de Liliane dans le miroir dont une large cicatrice en diagonale déchirait le tain.
–  Oui, dit-elle ; cette fois, c’est fait.
–  Tes parents sont d’accord ?
–  Penses-tu ! Tu ne les connais pas. Il y a eu hier soir une scène à tout casser. Mais j’étais bien décidée. J’ai fait ma valise ; ce matin, je suis partie sans leur dire au revoir.
Ruby sourit à son image dans le miroir.
–  Et maintenant la vie commence.
L’avait-elle assez attendue cette minute où elle se sentirait enfin libre ; l’avait-elle assez désirée cette heure où elle réaliserait son rêve d’être une artiste. Il y avait déjà quatre ans qu’elle luttait pour en goûter la joie, car ni son père, fonctionnaire que les hasards de sa carrière avaient amené à Paris, ni sa mère, provinciale dont Ruby avait hérité la beauté, mais qui était froide, un peu hautaine, assez dure à l’égard de ses enfants, n’avaient admis un seul instant que leur fille pût monter sur les planches et y être danseuse. Tout leur orgueil était exalté par leurs fils, l’aîné, docteur en droit, principal clerc dans une étude d’avoué dont la succession lui était assurée, le second sorti major de l’École des Mines, et le dernier, un peu plus jeune que Ruby, qui préparait Polytechnique.
Mais ni les objurgations de son père, ni les remontrances méchantes de sa mère n’avaient eu raison de l’obstination de la jeune fille. Elle avait quinze ans quand, en sortant d’une représentation du Châtelet, elle avait décidé d’être danseuse.
–  Ma fille, ballerine, saltimbanque, avait dit la mère dans un sursaut indigné. Je préférerais la voir entrer au couvent.
–  Pense à l’avenir de tes frères que tu compromets, avait ajouté le père. Crois-tu qu’ils trouveront à se marier quand on saura que leur sœur s’exhibe en public.
Puis, devant l’entêtement de Ruby, cela avait été des menaces, des scènes, d’interminables querelles, des pleurs. Rien n’avait empêché la jeune fille d’aller en cachette prendre des leçons de danse.
Elle s’était d’abord dirigée vers la danse classique. Mais très vite elle avait dû y renoncer. À quinze ans, elle était déjà trop âgée pour débuter en cette spécialité qu’il faut entreprendre dès l’enfance et elle avait compris qu’elle ne percerait jamais parmi tant de danseuses mieux douées qu’elle et entraînées depuis plus longtemps.
Abandonnant délibérément les chaussons à pointe et le tutu, elle avait travaillé la danse acrobatique. Rien ne l’avait rebutée : la douleur des assouplissements entre les mains sans ménagement du professeur, la difficulté des exercices, la patience qu’il faut montrer pour arriver à exécuter correctement le grand écart, les pieds au mur ou le pont. La souplesse naturelle de son corps l’avait moins servie que sa volonté opiniâtre. Mais quelle récompense n’avait-elle pas eue quand son maître, un acrobate qu’un accident avait pour toujours éloigné de la piste, lui avait dit :
–  Ça y est, mon petit. Tu peux maintenant chercher un engagement. Et si tu es sérieuse, tu arriveras.
Il lui avait fallu un peu plus de trois années de travail quotidien pour en arriver là. Pendant tout ce temps, ses parents n’avaient jamais rien su. Chaque jour, en strict maillot, dans le studio, elle se pliait à toutes les exigences du professeur qui n’était pas tendre. Chaque soir, elle rentrait bien sagement chez elle, dissimulant ses courbatures.
La salle où elle prenait ses leçons se trouvait place Clichy, chez Vacker, où acrobates et danseuses répètent à longueur de journée. Les planchers résonnent des appels des claquettes ; les parois laissent passer les exhortations des professeurs, les rengaines continuellement reprises des pianos et les battements du gourdin dont les moniteurs rythment sur le sol les ébats chorégraphiques.
–  Allons, tire sur les bras... encore... encore... Mauviette, va... Pousse à fond. Recommençons.
C’est là qu’un jour elle avait rencontré Liliane.
–  Tiens, Liliane, avait dit son professeur. Qu’est-ce que tu deviens, ma jolie ?
–  Bonjour, Alfred. Je suis embêtée.
–  Quoi ? Ça ne va pas ?... Les amours.
–  Oh ! de ce côté, ça irait plutôt trop bien... Non, c’est le métier...
–  Qu’y a-t-il ? Si je puis t’être utile, tu sais, ne te gêne pas.
–  Je voudrais monter un numéro de Sisters. Je crois qu’il y a à faire dans ce genre-là en ce moment. Mais le chiendent, c’est que je ne trouve pas de partenaire. Tu ne connaîtrais personne par hasard ?
–  Peut-être bien que si, fit Alfred.
Et poussant Ruby devant lui :
–  Tiens, justement. Voici une petite qui débute et qui cherche du boulot. Je crois qu’elle fera ton affaire.
Liliane avait du regard évalué le corps que moulait le maillot de travail, les petits seins fermes bien plantés, la ligne harmonieuse des hanches, la taille souple, les cuisses longues et pleines ; puis avait fixé le visage où l’adolescence éclatait de fraîcheur en gardant encore un peu de l’enfance.
–  Ça pourrait aller, fit-elle. Elle connaît le métier.
–  Elle sort de mes mains. Tu peux avoir confiance.
–  Venez prendre un verre avec moi. On va voir ce qu’on peut faire ensemble.
Rapidement habillée, Ruby était descendue avec Liliane au bar du premier étage.
–  Tu me conviens, mon petit, avait tout de suite décidé Liliane. Désormais nous serons sœurs.
–  Mais nous ne nous ressemblons pas du tout.
–  On voit que tu es jeune dans le métier. Aucune importance. Le maquillage et le costume se chargeront bien de cela. Quand tu connaîtras des Sisters qui sont sœurs pour de bon, tu viendras me le dire. Nous avons la même taille, la même corpulence. Ça suffit... Pour les appointements, voilà ce que je te propose : 60 % pour moi, 40 pour toi. Je prends un peu plus parce que je m’occuperai des engagements et que je réglerai le numéro. Ça colle ?
–  Ça va très bien comme cela.

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