Ma vie est une série BIP
199 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Ma vie est une série BIP , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
199 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Dans ce récit percutant, Lynn Langlois raconte sa vie, le trouble bipolaire qui l’affecte et le combat qu’elle mène depuis 30 ans pour essayer de rester sur la planète.
Extrait de la préface de Nancy Huston :
Ce qui angoisse les spécialistes, qu’ils soient théologiens ou psychiatres, c’est que les choses soient floues, mouvantes, changeantes et liées, en interaction constante. Ce qui les rassure, c’est de les séparer. […] Voici un livre étonnant, un livre totalement unique, le livre d’une « sonneuse d’alarme », aussi courageuse dans le domaine de la psychiatrie contemporaine qu’Edward Snowden dans celui de la surveillance électronique.
Encore une fois. Encore une fois comme si c’était la première. Le
tambour de mon coeur explosé, sans merci, m’assène uppercuts,
directs et crochets. Le centre de mon corps, le rayonnement d’un
long gémissement. Je serre les dents. J’accuse les coups. J’ai envie
de vomir. Je ferme les poings. Assume ! Je marche. Je marche d’un
bon pas pour ne pas perdre mon objectif de vue. J’ai un rendez-vous
avec ma directrice pour lui expliquer la situation. Une dernière
? Je repousse cette évidence. La honte du désengagement me
grafigne. Un escadron d’aiguilles m’attaque en traître pour s’abattre
entre mes deux omoplates. Les petits que j’abandonne, une évidence
coincée de travers dans le gorgoton. Si je laissais mes impulsions
me dominer, brusque demi-tour et course. Je courrais droit
devant jusqu’à l’épuisement. Tomber en pleine face et m’éteindre.
Mettre fin une fois pour toutes à ce calvaire. Mon cœur tressaute.
Se paye une arythmie sympathisant avec mon mode panique. Sa
pulsation s’accélère. Le respir me manque comme si, déjà, j’étais au
bout de mon sprint final. Je force mon inspiration. Je m’imagine
dragon. Je propulse cet air visant le bout du monde pour chasser
cette douleur qui me scie la poitrine. Inutile. Je ne vais pas pleurer.
Je ne pleure plus. J’éperonne ma monture. Je me mouche. Je crache.
On dirait qu’un poignard est planté là. Intolérable, mais ça ne
saigne pas. Si je saignais, ça ferait moins mal. Pas besoin de mots.
Ouvrir mon manteau suffirait. Peut-être qu’un bon coup de couteau,
un vrai, deux ou plus, terrasseraient ce mal, moi, tout ! Aussitôt,
je bannis ce fantasme. Je me l’interdis. J’ai mis des enfants au
monde. Je « toffe la run ». Je suis fourbue. Le diable est en moi. J’en
ai l’habitude. Je ne m’habitue pas.
Je marche penchée par en avant. Un peu à cause du poignard,
mais aussi parce qu’il fait un froid de loup. L’hiver me mord les
joues. Je fixe le sol raboteux malmené par les incessants gels et
dégels, mon capuchon rabattu sur mes yeux pour me protéger du
vent, mais surtout des regards. Je m’imagine invisible pour me
donner contenance. Foutaise ! J’ai à faire face aux autres, au monde !
Bon, pour tout de suite, à la directrice. Je serre les dents. Ensuite,
je pourrai m’évanouir. C’est fou comme je peux avoir la trouille.
De peur, je fais comme une prière, me sermonne, me stimule. C’est
une maladie comme une autre. C’est une maladie comme une
autre. « Comme une autre ? Tu veux rire ! » Je tressaille. Je parle
seule d’une voix de gargouille qui gargouille. Je m’en fiche que je
me dis. Je m’en fiche ! Mais je ne le pense pas. Je ne suis pas d’accord.
Mais c’est ça qui est ça. L’envers du décor entre en scène et
avec lui, la dépression.
Je suis confrontée à l’apitoiement de l’autre qui ne saisit pas.
Un billet du médecin. Ça doit être vrai. Alors, je me retrouve
encore en arrêt de travail. Cette aventure m’entraînera dans les
méandres du questionnement pour la ixième fois. Nous sommes
en février 2007. Cette année, elle me culbute plus vite qu’à l’ordinaire.
Mais ce pourrait être en mars ou en avril 1993, 1994, 1996…
et ma frustration de ne pas pouvoir vivre ma vie m’exhorte, chaque
fois, à rechercher les raisons même si j’en connais pertinemment la
cause. Je suis une bipolaire de type 2. Type 2 ? Oui. Les manies
euphorisantes et psychotiques du type 1, je ne connais pas. Dépenser
sans compter ! Me sentir investie d’un pouvoir d’invincibilité !
Partir sur une galère mirobolante sans queue ni tête ! Marcher
toute nue sur la ligne du milieu de la rue sans ressentir le froid à
moins vingt degrés ! The king of the world ! Ce n’est pas pour moi.
Je suis une type 2, du genre alternance entre hypomanie et dépression.
Hypomanie ? Hypomaniaque, je ne ressens pas la fatigue. Une
illusion ! Une énergie importante foisonne en moi. Je suis productive
et performante. Je n’ai pas faim ni sommeil. Si cet état perdure,
je deviens énervée et impatiente, soupe au lait et fébrile. L’hypomanie
me domine. Ce dynamisme ardent occupera mon corps jusqu’à
ce qu’il s’affaisse. Mon enveloppe corporelle, celle d’un grand guignol
déserté par le manipulateur surexcité aussitôt remplacé par
l’autre, d’une morosité pénible à incarner. Je vivoterai.
Je ne perds pas contact avec la réalité, ou du moins pas dans le
sens psychotique du terme, ni dans les high ni dans les down. Du
point de vue affectif, mon métabolisme ne fonctionne pas selon la
norme habituelle. Ma vie émotionnelle se colore soit d’une tristesse
persistante ou d’une allégresse qui persiste. Ces états s’installent
chez moi sans réelles raisons, à savoir des causes nettement identifiables.
Ce qui prête à confusion puisque tant que le chercheur
n’aura pas mis le doigt sur l’origine du bobo, la faute m’en incombe
même si je n’en suis pas directement responsable. – Je n’ai pas le
comportement approprié ; déclencheurs ; travaille trop ; les grossesses…
N’importe quoi. – Mon état change donc, disons « machinalement
», ce qui ne signifie pas que je ne me rende pas compte de
ce qui m’arrive. On pourrait parler de dérèglement de l’humeur
pour schématiser la chose. Humeur comme dans « état d’âme », car
mon tempérament et ma personnalité demeurent les mêmes. La
bipolarité est une maladie. Elle ne me rend ni meilleure ni pire que
je ne le suis en réalité. Je mange la claque, un point c’est tout. Ainsi,
je n’ai aucune expérience des manies dévastatrices, mais celle des
dépressions qui tuent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 août 2015
Nombre de lectures 2
EAN13 9782764430385
Langue Français
Poids de l'ouvrage 7 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Projet dirigé par Jacques Fortin, président, et Pierre Cayouette, conseiller littéraire et éditeur

Adjointe éditoriale : Raphaelle D’Amours
Conception de la grille intérieure : Julie Villemaire
Mise en pages : Interscript
Révision linguistique : Isabelle Pauzé
En couverture : Photomontage réalisé à partir d’images tirées de © Valentyn Volkov/shutterstock.com et archives personnelles de l’auteure
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Langlois, Lynn
Ma vie est une série bip
(Biographie)
ISBN 978-2-7644-3036-1 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3037-8 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3038-5 (ePub)
1. Langlois, Lynn. 2. Psychose maniacodépressive. 3. Santé mentale. 4. Maniacodépressifs- Québec (Province) - Biographies. I. Titre. II. Collection : Biographie(Éditions Québec Amérique).
RC516.L362 2015 616.89’50092 C2015-941551-9

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2015
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2015

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2015.
quebec-amerique.com



À madame Jocelyne Monty

Des erreurs, j’en ai fait. D’abord, je suis né. Première erreur !
Woody Allen

Préface de Nancy Huston
La follement courageuse
Pendant des siècles, en Occident, une armée d’hommes – moines, prêtres, théologiens – ont passé leur temps à débattre des articles de la foi chrétienne, à recopier des passages de la Bible, à asséner théories et anathèmes depuis leurs chaires hissées au-dessus de la foule de croyants, à défiler en pompe et cérémonie en déblatérant des insanités au sujet des mères vierges, du péché de la chair et tutti quanti . Tout cela a perdu beaucoup de sa présence et de sa puissance dans le monde contemporain, nonobstant les festivités autour du pape. On peut espérer voir réserver le même sort, d’ici quelques siècles, à l’armée des spécialistes agressifs de la santé mentale qui, un peu partout autour de nous, enchaînent colloques, congrès, publications et promotions, et assènent leurs certitudes depuis leurs chaires non plus religieuses mais universitaires. Les cheveux qu’ils coupent en quatre ne sont non plus l’immaculée conception ou le miracle de la transsubstantiation, mais la bipolarité de types 1, 2, 3 et 4, la dépression brève récurrente (DBR), le trouble affectif saisonnier (TAS)… et les molécules à prendre pour venir à bout de ces péchés new look afin de réintégrer un peu plus vite la course au paradis fiscal.
Raison et émotion, corps et âme, individu et société, chromosomes et expérience, art et folie. Ce qui angoisse les spécialistes, qu’ils soient théologiens ou psychiatres, c’est que les choses soient floues, mouvantes, changeantes et li ées, en interaction constante . Ce qui les rassure, c’est de les séparer. Alors ils séparent sec. Arrêtent le mouvement. Figent artificiellement. Analysent, distinguent, classifient, tranchent, étiquettent. Déclarent. Décident qui est sain et qui malade. Expliquent. Définissent. Excluent les contradictions.
« Comme si le suicidé, lui, ne voulait pas vivre », écrit Lynn Langlois qui, revenue de trois tentatives pour quitter ce bas monde, sait de quoi elle parle. Merci Lynn, merci de le dire et de le dire si bien merci. Voici un livre étonnant, un livre totalement unique, le livre d’une « sonneuse d’alarme », aussi courageuse dans le domaine de la psychiatrie contemporaine qu’Edward Snowden dans celui de la surveillance électronique.
J’ai lu très récemment de Joyce Carol Oates J’ai réussi à rester en vie , livre de 480 pages paru en 2009. Oates y raconte la mort de Raymond Smith, à qui elle avait été mariée quarante-sept ans durant, et l’impact très violent qu’a eu ce décès sur sa psyché. J’avais lu plusieurs critiques de ce livre avant de l’acheter, mais aucune n’incluait la phrase que je me suis murmuré à voix basse tout au long de ma lecture : Elle est folle . Non seulement JCO est clairement folle pendant l’année de son deuil, mais elle est folle d’une façon pour moi proche et reconnaissable, puisque c’est la mienne.
« On pourrait dire que je suis “bien” lorsque je suis plongée dans une tâche, écrit Lynn Langlois. Occupée à en perdre la conscience, à fuir les voix, le temps, le lieu. On dira que je suis excessive ou exigeante. » J’avais eu le même sentiment en lisant les journaux intimes tenus par JCO dans les années 70. Elle est folle. Comme moi mais en pire . J’ajouterai maintenant : Lynn aussi. Comme JCO et moi mais en pire . Seulement, de JCO et de moi, personne n’ose dire qu’on est folles parce qu’on fonctionne, on « performe », on produit.
La vérité c’est qu’on le fait… follement . Tout comme LL, pour ne pas se détester et se suicider on est obligées de rester hyper actives, de priver notre corps de sommeil et/ou de nourriture, de l’exciter avec tabacs et alcools, de l’assommer avec somnifères et anxiolytiques. En général on cache bien notre folie, et même quand on la montre clairement personne ne la relève parce que, tout de même, JCO a publié cent cinquante livres, moi une cinquantaine, nous sommes productives alors ça va, quoi ! « Elle est prolixe », disent-ils de nous – ne veulent-ils pas dire prolifique ? non, prolixe , ils pensent que nous produisons trop, alors que nous avons toujours l’impression, JCO et moi, de ne pas en faire assez, d’être paresseuses et immobiles, de trop dormir, de trop manger, et surtout de ne pas assez travailler. Trop occupées à quadriller le temps et à en optimiser l’utilisation, nous ne sentons pas le parfum des fleurs, n’entendons pas les cris des oiseaux, ne laissons pas nos yeux errer sur la beauté d’un coucher du soleil.
« L’hypomaniaque se fond dans le paysage de notre société hyper performante, écrit Lynn Langlois. La dépressive fait tache. » De Lynn on peut dire qu’elle est folle parce que, si ses high sont à peu près identiques aux nôtres, ils sont de courte durée, alors que ses down (quand la machine s’enraye, ralentit et cale) sont longs et fréquents. Moi j’oscille discrètement d’une position à l’autre ; quant à JCO elle semble avoir découvert le down pour la première fois à soixante-dix ans en raison de son deuil. Elle tombe des nues. Elle ne peut presque plus écrire, c’est paniquant ! Elle commence à entendre des voix qui la critiquent, l’attaquent, la narguent, la moquent, la poussent à se tuer. À la plus assassine, la plus impitoyable de ces voix elle donne le nom de basilic : serpent mythique dont le regard pétrifie et tue, comme celui de la Méduse. Je la connais depuis toujours, cette voix atroce, Lynn aussi, même si nous en avons d’autres.
« Mon ange antipoison tiendra tête à ce diable d’entourloupe. Et moi, entre les deux, j’en perds la boule. » Entre parenthèses, pourquoi personne n’a jamais eu l’idée de demander à la Méduse comment elle se sentait, avec tous ces serpents lui jaillissant du cerveau ? Les commentateurs s’en tiennent toujours à la vision du fils, c’est-à-dire l’épouvante de l’homme devant la mère châtrée/castratrice. Mais quand vous portez en vous-même et sur vous-même le regard pétrifiant ? quand la Gorgone c’est vous ?
Romain Gary, même syndrome. Ou Woody Allen (« Chaque fois que je prends l’ascenseur, faut que j’aie quelque chose à lire, sinon je suis suicidaire avant d’arriver à mon étage ! ») En fait je pense qu’on est nombreux, nous autres bipolaires de placard , et il est peut-être temps que nous fassions notre coming-out : hello hello, Joyce, hello Romain, hello Woody… À nous, sous prétexte qu’on réussissait, personne n’a osé poser le diagnostic bip. Mais ce n’était pas le vrai nous qui réussissait, n’est-ce pas ? Le vrai nous est celui qui méritait de mourir n’est-ce pas ? Ah, Romain ! tu ne t’es pas raté et si Joyce n’avait pas trouv&#

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents